États-Unis et Moyen Orient: 20 années de noces dangereuses entre guerres et paix
- Ilyes Chb
- 31 juil. 2021
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 nov. 2021

Troupes américaines retirant le drapeau Etats-Unien, actant ainsi leur retrait d'Afghanistan. (Source : MosaiqueFM)
« Le froid du Canada vaut mille fois mieux que la chaleur du Moyen-Orient » écrivait le poète Mourad Zguiouar. Cette chaleur c’est celle des guerres, du pétrole, qui consument les passions, celle d’un cœur qui ne respire plus sous les décombres, celle des poignées de mains entre dictateurs, celle des coups de feux et des obus, celle d’une bombe qui crie que Dieu est grand. Mais si le Moyen-Orient est le foyer de conflits depuis 1918, les Etats-Unis en sont la grande ménagère.
Lutte contre le terrorisme, conflit israélo-palestinien, régimes autoritaires et montée en puissance de nouveaux acteurs régionaux, les enjeux sont multiples et graves. Retour sur deux décennies américaines passées à faire la guerre et la paix au Moyen-Orient.
La démesure guerrière contre-productive post-2001
L’hubris d’un interventionnisme obsessionnel
Au lendemain des attentats meurtriers du 11 septembre 2001, l’Amérique de Georges W. Bush entame une guerre totale contre le terrorisme avec un ultimatum clair de la Maison Blanche : « Vous êtes avec nous ou contre nous». La vengeance et la paix en tête, ils s’improvisent « gendarmes du monde ». Si la guerre contre le terrorisme s’intensifie au moyen Orient, la présidence Bush se montre active dans la région en entamant son combat contre « l’axe du mal » : des pays que l’administration estime avides d’armes de destruction massive, et que la Maison Blanche juge complices du terrorisme islamiste.
Cette guerre préventive est notamment menée contre l’Irak de Saddam Hussein. Israël, acteur régional en puissance profite sous Sharon de cet unilatéralisme américain et son obsession anti-terroriste pour désigner Yasser Arafat comme « notre Ben Laden ». L’objectif géopolitique derrière ces déclarations est limpide : redessiner la carte du Moyen-Orient avec une approche purement américano-israélienne opposée à toute solution avec les Palestiniens.

Le président américain George W. Bush à la base militaire de Fort Hood (Texas), en janvier 2003. (Source : Paul J. Richards / AFP)
La fatigue de l’unilatéralisme militaire américain
Tandis que la guerre contre le terrorisme se poursuit, le temps se fait long. En fait aucun des engagements pris par le président Bush n’a couronné le succès de sa lutte acharnée contre le terrorisme. Pire encore, la guerre a des conséquences considérables, le coût humain et financier est très élevé. Les contraintes financières relatives au coût élevé des opérations militaires américaines vont créer l’exaspération chez la population américaine qui va se montrer de plus en plus réticente à cet interventionnisme. Le pays cristallise par ailleurs de plus en plus la méfiance d’une partie du monde qui voit en sa politique extérieure une violence injustifiée ou excessive et les relents de l’anti-américanisme refont surface au Moyen Orient et dans le monde arabo-musulman.
L'arrivée au pouvoir du Président des Etats Unis Barack Obama en 2009 vient clarifier la politique extérieure du pays au Proche et Moyen-Orient. Le président va ainsi distinguer les guerres entreprises par la Maison Blanche, la guerre en Irak est une guerre “stupide” tandis que la guerre en Afghanistan est une guerre “nécessaire”. Notons que l’invasion de l’Irak a été dévastatrice, près d’un demi-million d'irakiens y perdirent la vie.
Réorientations stratégiques des priorités régionales de la dernière décennie

Des égyptiens regardent le discours de Barack Obama en direct du Caire. (Source : MARKAZ/ Brookings)
Un retour au dialogue multilatéraliste dans le compromis et l'apaisement
Un an après son élection, Barack Obama tient un discours historique en direct du Caire, où il promet un « nouveau départ » entre le monde musulman et les Etats Unis, et entend mettre fin au cycle de la discorde qui les oppose. Il fait donc la promesse d’une relation plus apaisée entre le monde musulman et les Etats-Unis. Le dialogue se fera finalement davantage dans le compromis que dans l’apaisement. En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, Obama s’est montré ferme en condamnant la colonisation israélienne des territoires palestiniens occupés mais les 100.000 colons supplémentaires répartis par le premier ministre israélien en Cisjordanie et à Jérusalem constituent une humiliation sans nom pour le président Obama.
Les révolutions arabes de 2011 sont inattendues et constituent un réajustement stratégique de la région. La situation en Syrie dégénère sous les yeux de la communauté internationale mais le président des Etats-Unis Barack Obama se montre ferme en déclarant « La ligne rouge pour nous, c'est le déplacement et l'utilisation d'armes chimiques. » Un an après ce discours, le régime de Damas franchit cette ligne. L’intervention internationale menée par le trio Londres-Washington-Paris se prépare mais échoue à se concrétiser. Cet épisode va décrédibiliser la Maison Blanche sur la scène internationale. Partout ailleurs, les « printemps arabes » ont eu raison des bonnes intentions affichées d’Obama. L’intervention dans le cadre du soulèvement Lybien fut chaotique si ce n’est désastreuse, après 10 jours de combat les États-Unis se retirent du terrain n’apportant qu’un soutien logistique à une coalition internationale empêtrée dans une poudrière. Enfin, toujours dans une attitude compromissoire, le président Obama dont l’ambition était de dénucléariser le monde semble s’être confronté à plusieurs difficultés malgré un succès relatif avec l’Iran.
Stratégie de désengagement dans l’hostilité
Le quadriennat Trump annonce en 2016 un désengagement notamment militaire drastique du Moyen-Orient. Avec ce nouveau nationalisme américain qu’incarne Donald Trump et ce retour au protectionnisme, l’heure est à une diplomatie américaine erratique pleine d'hostilités. Si il s’est voulu instigateur du « deal du siècle », sa solution au conflit isréalo-palestinien, il a laissé carte blanche au Premier Ministre israélien Natanyehou à qui a profité le transfert de l’ambassade américaine vers Jérusalem, rendant difficilement envisageable la paix dans la région. Le président américain s’est longtemps vanté de son bilan présidentiel notamment de son désengagement de la région mais cette initiative ne s’est pas accompagnée d’un effort de stabilisation du Moyen-Orient et n’a fait qu'accroître le poids de la conflictualité dans la région. Un apaisement inenvisageable pour les Etats-Unis qui se retireront des accords de Vienne sur le nucléaire iranien en 2018 et qui n’ont cessé de dorloter leur homologue saoudien Mohamed Ben Salman malgré des exactions avérées du fils Saoud.
La lubie antiterroriste du pays fait son retour lorsque sous couvert de lutte antiterroriste, Donald Trump décrète le « muslim ban », interdisant ainsi l’entrée sur le territoire américain de supposées territoires de 7 pays à majorité musulmane. Décrié par la communauté internationale, ce décret n’a fait qu'accroître l’anti-américanisme historique dans la région. Le président Trump, n’a pas manqué d’ailleurs d’exprimer son assentiment pour certains géants du Moyen-Orient sur Twitter. Les sanctions économiques imposées par la Maison Blanche ainsi que l’assassinat par les forces américaines du Général iranien Soleimani ont également permis à l’Oncle Sam de préserver ses intérêts et son contrôle de la région sans provoquer de guerres inutiles. Le retrait des troupes américaines de l’Afghanistan se concrétise également aujourd'hui et illustre ce désengagement.
Présidence Biden : espoir d’un nouveau Moyen-Orient ou faux semblant diplomatique?

Joe Biden, à Washington, le 4 février 2021. TOM BRENNER / REUTERS
Le nouveau visage des États-Unis Joe Biden, pourtant très familier des desseins de ses prédécesseurs, porte en lui depuis le début de son mandat une passivité inédite dans cette région investie à fonds perdus pendant des décennies par les Etats-Unis. L’engagement régional de Biden, héritier d’une situation inextricable, est bien plus timide que prévu. Difficile notamment d’envisager la concrétisation d’un quelconque processus de paix entre Israël et Palestine initié par la diplomatie américaine face à une radicalisation du personnel politique israélien et un manque persistant de représentants politiques palestiniens. Washington semble ces derniers mois davantage tournée vers une autre partie de la région où les États Unis cultivent des intérêts stratégiques majeurs. En effet, l’accord sur le nucléaire iranien, la crise yéménite ou encore la rivalité irano-saoudienne, tant de questions que de préoccupations pour le pays dans une région aux allures de poudrière qui ne cesse d'alimenter les crises et les conflits.
Le futur du Moyen-Orient se joue dans un équilibre d’influence entre les grands acteurs étatiques de la région : l’Iran, la Turquie et Israël et face à ce triumvirat, les intérêts des Etats-Unis ne se trouvent que renouvelés. L’avenir de la politique extérieure américaine au Moyen-Orient semble nous promettre à la fois une fausse fermeté et une connivence déconcertante.
Bibliographie :
- « Les Etats-Unis au Moyen-Orient (1) : enjeux et présence américaine pendant la guerre froide (1945-1990) » Les clés du moyen orient, Laura Monfleur 16/03/2018
- « La lettre de l’éduc.Que font les États-Unis au Moyen-Orient ? » Courrier International, Benjamin Daubeuf 09/10/2018
- « Moyen-Orient, Russie, alliés : Biden rompt avec la diplomatie de Trump » L’Est Républicain AFP 4 février 2021
- « La stratégie d’évitement de Joe Biden au Moyen-Orient » Le Monde, Piotr Smolar et Gilles Paris 21 mai 2021
- « 2008-2016 : Bilan de la politique d’Obama au Moyen-Orient » Kapitalis, Roland Lombardi 20 janvier 2017
- « Bush en échec au Moyen-Orient » Libération, Pascal Riche, 10 novembre 2003
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