Les femmes iraniennes à l’épreuve de la dictature antiféministe
- Ilyes Chb
- 1 déc. 2021
- 9 min de lecture
Entre 1931 et 1979, les avancées en faveur des femmes iraniennes sont considérables. Écoles mixtes, accès aux universités, majorité matrimoniale, féminisation de l’emploi et droit de vote et d'éligibilité. La dynastie Pahlavi mène un siècle de réformes féministes dans la violence et la répression, mais la haine du pouvoir a permis à l’islamisme de s’accaparer la sympathie des classes populaires. La Révolution de 1979 vient ainsi instaurer rapidement un conservatisme religieux rigoureux, un anti-occidentalisme exacerbé et un recul profond des acquis des femmes iraniennes.

Supportrice iranienne, le 25 juin 2018 à Téhéran. — Crédits : Abedin Taher Kenareh / EPA.
Shadi Sadr, Fatemeh Baraghani, Nasrin Sotoudeh, Shirin Ebadi ou encore Yassaman Ariani sont aujourd’hui les visages du féminisme iranien. Exilées ou prisonnières, ces femmes font chaque jour face à la violence d’un régime antiféministe toujours plus accru et l’indifférence d’un monde occidental qui ne cesse de les instrumentaliser. La réalité sociale, économique et politique iranienne rend difficile la lutte féministe dans ce pays où plus de la moitié de la population, avide de changement a moins de 20 ans, où le niveau de chômage est très élevé et où la vie sociale est sérieusement bridée. C’est là l’histoire de cette révolution silencieuse menée par les femmes.
Une violence antiféministe systémique et structurelle du régime iranien
Un antiféminisme solidement ancré dans une législation liberticide
En Iran, depuis la révolution islamique, les femmes font face à un antiféminisme structurel et systémique. Inégalités, contraintes et discriminations sont le pain quotidien de ces millions de femmes qui subissent les dogmes contemporains d’une société où loin de toute règle de grammaire archaïque, “le masculin l’emporte sur le féminin”. Aujourd’hui, la violence est juridique, religieuse et physique : les femmes iraniennes ne peuvent pas accéder au marché du travail sans l’autorisation d’un parent de sexe masculin, voyager sans la permission de leur mari et ont l’obligation de porter le voile. Les salles de classe excluent tout espoir de mixité entre filles et garçons, l’interdiction des cyclistes féminines est effective et la séparation physique des femmes et des hommes structure l’espace public iranien. Les attaques à l’acide contre des femmes jugées “mal voilées” ou portant des vêtements perçus comme “immoraux” se sont multipliées dans le pays.

Crédits : “La Séparation” d'Asghar Farhadi.
Bien que le droit au travail soit juridiquement reconnu aux femmes, certaines professions leur sont interdites telles que les métiers de juge ou de pompier et certaines filières universitaires leur sont également limitées. Cette invisibilisation sociale et professionnelle contrainte des femmes iraniennes s’accompagne d’une sous représentation des femmes dans la haute fonction publique. Sur les 290 députés du parlement iranien (Majlis), seulement 16 sont des femmes.
Le combat féministe contre l’invisibilisation des femmes est une bataille de longue date que l’Histoire iranienne n’oublie pas : Le 8 mars 1979, 100 000 femmes descendent dans les rues du pays pour protester pacifiquement contre une loi injuste qui leur imposait dorénavant de porter le hijab, le voile islamique. Si à cette même occasion, le monde célèbre aujourd'hui timidement la journée Internationale des droits des femmes, sa célébration en Iran est depuis, totalement prohibée par le gouvernement, fervent anti-occidentaliste. Inévitablement, cette journée est donc un moyen pour les intellectuels et les militants iraniens de rejeter le régime en place.
Enfin, c’est une nouvelle loi visant à relancer la dynamique de natalité qui menace aujourd'hui le peu de droits dont bénéficient les femmes iraniennes. Entrant en vigueur prochainement, elle interdit, la stérilisation et la distribution gratuite de contraceptifs dans le système de santé public, à l’exception des grossesses à risques. L’accès à l’avortement autorisé qu’en en cas d’extrême urgence sera davantage limité. “La loi porte atteinte de façon flagrante aux droits, à la dignité et la santé de la moitié de la population du pays” commente Human Rights Watch.
L’islamisme, instrumentalisation religieuse bourreau des femmes iraniennes
Voilà donc 7 ans qu’une révolution silencieuse secoue la République islamique d'Iran dont la cible principale est un symbole du régime iranien, le voile islamique. Lancée par la militante Masih Alinejad, exilée aux États-Unis, elle invite les Iraniennes à retirer leur foulard en public pour protester contre son port obligatoire en Iran. Si certaines ont sincèrement embrassé le hijab, bien d’autres femmes le rejettent. Ensemble, elles luttent contre l’obligation du port de ce voile dans un espace public où burqa et niqab se sont imposés. Si nombre de pays à majorité musulmane ont fait le choix de systèmes judiciaires séculaires, la charia s'applique sans nuance en Iran, donnant force obligatoire à ces lois islamiques que beaucoup de pays et de croyants ont abandonnés ce dernier siècle. Cette charia vient étouffer la liberté des iraniennes et formalise l’inégalité manifeste et patente entre les femmes et les hommes du pays.
Soumises, discriminées, invisibilisées, les femmes iraniennes souffrent du poids d’une religion que l’État n’a cessé d’instrumentaliser depuis la révolution islamique de 1979. Majoritairement musulmanes, ces dernières voudraient naturellement que le choix de porter ou non le voile et la gestion des relations intra-familiales ne soient pas le fait de la seule décision masculine. À leurs yeux, le problème n’est donc pas tant l’islam en soi mais davantage l’idéologisation du religieux et le mode d’imposition de ses normes qui accorde inégalement l’autorité à l’homme.
Depuis la révolution de 1979, les iraniennes n’ont cessé de vivre la répression sociale, la discrimination sexuelle et les violences d’un état islamiste, despote et bourreau de ses femmes. Pourtant il naît au gré du temps qui passe dans la population, des femmes ambassadrices d’un militantisme nouveau, habitées d’une soif d’égalité pour lesquelles l’abandon de ses lois, de ses traditions et de cette culture misogynes et discriminatoires est devenu la seule issue. Si l’existence des femmes iraniennes est faite de violences et de discriminations, la résistance féministe même si étouffée, s’organise autour de l’engagement de milliers de femmes.
Une résistance féministe grandissante nid d’espoir et d’instrumentalisation
Les débuts féministe à l’iranienne
Durant les quatre décennies qui ont suivi la révolution iranienne, les femmes n’ont cessé de se battre pour leurs droits. S’il n’existe pas de mouvements ou de partis féministes à proprement parler dans le pays, les militantes iraniennes dans certains domaines comme l’art, la culture, ou encore le droit, poursuivent le combat féministe. Ainsi, les deux avocates iraniennes, Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix en 2003 aujourd’hui exilée à Londres et Nasrin Sotoudeh, récipiendaire du prix Sakharov pour la liberté de l'esprit en 2012 condamnée à 33 ans de prison pour ses combats en faveur des femmes représentent parfaitement cette génération de militantes féministes. Malgré une forte répression, le militantisme féministe en Iran s’est intensifié ces dernières années, en atteste les nombreux rassemblements publics dont la campagne du "million de signatures" demandant la modification des lois contre les femmes dans le pays, des White Wednesday, marches hebdomdaires visant à remettre en question l’obligation du port du voile ou de la mobilisation “MyCameraIsMyArm”, appelant à enregistrer les aggressions dont les citoyennes iraniennes sont victimes.
Par ailleurs, la cause féministe en Iran bénéficie ces dernières années, d’une visibilité internationale accrue du fait des réseaux sociaux et d’un soutien mondial renouvelé mais en dépit des fortes mobilisations sociales, cette révolution silencieuse aux couleurs du féminisme trouve peu d’écho chez les hommes du pays car bien que la plupart d’entre eux rejettent le rigorisme islamique parce qu’il entrave leur liberté sexuelle, ils ne reconnaissent pas la pleine égalité entre les femmes et les hommes en matière de sexualité. Les intellectuels iraniens restent ainsi extrêmement timides dans la remise en cause de l’infériorité féminine au sein de la vie sociale et du système juridique en place.
Si la lutte s’intensifie à l’intérieur des 4 murs du pays, les étincelles de la révolution féministe sont perceptibles également à l’extérieur de l’Iran, où féministes et militantes s’exilent faute de pouvoir exercer librement leur profession en Iran où la société civile iranienne est de plus en plus sensible à la condition féminine. Inévitablement, les dirigeants iraniens devront répondre aux exigences d’une diaspora de 3 millions d'iraniennes et d’iraniens présente partout dans le monde. En plus de cette diaspora, des milliers de personnes partout dans le monde sont sensibles à la cause des femmes iraniennes. Pétitions, tribunes, manifestations, les outils sont pluriels.

Des gens se rassemblent le 13 juin 2019 devant l'ambassade d'Iran en France pour soutenir l'avocate iranienne des droits de l'homme Nasrin Sotoudeh — Crédits : François Guillot/AFP.
Les victoires arrachées du militantisme féministe iranien
La bataille juridique et sociale portée par les revendications féministes est un message clair du rejet du puritanisme islamique et du patriarcat en Iran. Ce combat se traduit par quelques victoires militantes que le pays doit davantage à la détermination de ces femmes que du fait de politiques volontaristes du gouvernement.
Ainsi, le taux des femmes qui se déclarent à la recherche d’un travail plutôt que femme au foyer ne cesse de croître tandis que les femmes représentent jusqu'à 60% des admissions aux universités. Les femmes, loin d’être cachées, sont très présentes dans le monde du travail et ont su conquérir, grâce à un travail acharné, des postes à responsabilité.
L’inégalité systémique se vit également dans la peine et le malheur en Iran où une fois incarcérés, les hommes ont à leur disposition une carte téléphonique et ont le droit d'appeler leurs proches une fois par semaine tandis que ces droits sont refusés aux femmes emprisonnées pour des délits d'opinion, y compris aux mères de famille. Narguess Mohammadi, journaliste et mère de deux enfants, vice-présidente du Centre des défenseurs des droits humains en Iran, condamnée à seize ans de prison, aujourd'hui libre, a réussi à gagner son combat. Les femmes ont maintenant le droit de téléphoner à leurs proches dans les mêmes conditions que les hommes.
Sur la scène politique, Faezeh Hachemi, fille de l’ex-président de la République Rafsandjani, fervente défenseure des droits des femmes s’est imposée lors des législatives de 1996 en recueillant un très grand nombre de voix, devenant ainsi députée. Si Hachemi n’affiche aucune ligne politique précise, l’opposante au régime porte un message réformiste et féministe et se présente par ailleurs aux élections présidentielles en 1997 et 2021, des candidatures naturellement invalidées par le régime. Ces scores et ces petites victoires de Faezeh Hachemi sont le nom d’une stratégie de visbilisation et de normalisation des femmes dans l’espace public et les cercles de pouvoir que mène la femme politique.
Les faux semblants d’un féminisme étatique comme stratégie internationale
Si les femmes, sous le régime islamiste, sont parvenues à renforcer leur présence sociale, sans que cela ne contredise nécessairement la volonté du régime, ce dernier s’en est grandement servi pour contredire les attaques et les accusations internationales contre la République islamique d’Iran, profitant ainsi de cette propagande pour se montrer féministe. Après des années de turbulences et une mauvaise presse sur la scène internationale, l’Iran qui n’a toujours pas ratifié la convention internationale contre la discrimination des femmes car “contraires aux préceptes du Coran”, semble en effet vouloir se montrer non imperméable aux débats sociétaux qui agitent l’Occident. Une proposition de loi visant à lutter contre les violences faites aux femmes a ainsi étonnamment vu le jour. Censéeprotéger les femmes iraniennes des violences sexistes et sexuelles, cette loi est tout de même saluée par certaines militantes. “Protection, dignité et sécurité des femmes contre la violence”, c'est là l'intitulé officiel de cette loi lacunaire qui ne fait que conforter la stratégie de féminisme washing amorcée par le gouvernement en occultant sciemment la réalité du viol conjugual, des crimes d’honneur, des certificats de virginté et du mariage forcé des enfants. La vague MeToo semble donc se heurter à un État mythomane.

Le président de l'Iran, Hassan Rohani — Crédits : Présidence Iranienne / AFP.
Aujourd'hui, l’Iran n’est donc le visage que d’un pseudo féminisme géopolitique. Sa récente élection à la commision de la condition de la femme des Nations Unies, organe intergouvernemental dédié exclusivement à la promotion de l'égalité des sexes et de l'autonomisation des femmes est un coup de massue pour toutes ces femmes qui se battent au quotidien, dont le combat est une fois de plus invisibilisé dans des semblants de féminisme international qui dénotent de l’Histoire de la civilisation persane. La libération et la liberté des femmes iraniennes comme présentée par les ayatollah du gouvernement est un progrès factice. Inéluctablement, face à des droits humains toujours plus restreints et des manœuvres de pink washing de l'Iran sur la scène internationale, les femmes courageuses en Iran ne luttent donc plus seulement pour leur propre émancipation, mais surtout pour la liberté du peuple iranien. La lutte feministe est donc intrinsèquement consubstantielle à une révolution democratique.
Un siècle de lutte féministe plus tard, les femmes iraniennes souffrent toujours d’un antiféminisme étatique structurel que la Révolution islamique est venue raviver. Les droits des femmes régressent mais elles résistent.
Aujourd’hui, la réconciliation entre Islam et modernité constitue un des enjeux majeurs pour l'avenir du pays. Cet amalgame permettrait de briser le cycle des inégalités et reconnaître la véritable place des femmes, constituante essentielle de la force sociale iranienne.
Le militantisme féminin reste fort, ce qui laisse augurer des modifications certaines de la condition des femmes iraniennes. “J’espère du fond du cœur que par des voies pacifiques nous pourrons mettre fin à la privation du droit des femmes dans tous les pays où l’on prive la moitié de la population de ses droits humains au nom d’une idéologie, d’une religion ou d’une éthique.” déclarait la militante Yasamin Aryani à qui se joignent les espoirs de toutes les voix féministes du monde pour que vivent les femmes iraniennes.
Bibliographies:
Amnesty International 10 septembre 2019, “Iran, mépris effroyable témoigné aux droits des femmes”, amnesty.be.
ANDRIEU Laura, 22 avril 2021, “L’Iran élue à la commission de la condition de la femme de l’ONU”, le Figaro.
ARBRUN Clément, 11 janvier 2021,“Bientôt une loi contre les violences sexuelles faites aux femmes en Iran ?”TerraFemina,
KHOSROKHAVAR Farhad, « Le mouvement des femmes en Iran », Cahiers du Genre, vol. 33, no. 2, 2002, pp. 137-154.
MAXWELL Mary Jane, 3 avril 2019
“Avant et après 1979: Les droits des femmes en Iran”, ShareAmerica.gov
RFI, 10 avril 2019, “Les mots de Nasrin Sotoudeh par delà les barreaux”, rfi.fr
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