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RDC/Rwanda : vers un possible apaisement des tensions (partie 2)

  • Photo du rédacteur: Jeanne Pasadovic
    Jeanne Pasadovic
  • 4 nov. 2021
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 nov. 2021


Le Kivu, le théâtre des affrontements


La province du Kivu est l’une des provinces les plus touchées par les conflits armés. Après la guerre du Kivu (2004-2009) et le M23 (2013), la région n’a pas connu la paix. Des groupes paramilitaires ont remplacé les armées conventionnelles et ravagent le Kivu. La liste de ces groupes est longue. Selon les sources, il y aurait en général une centaine de groupes présents sur le territoire, notamment dans l’Est (125 en 2019, 122 en 2021).


Les milices d’origine étrangère :


Parmi les groupes importants, il y a l’ADF, groupe en provenance d’Ouganda et en étroite collaboration avec l’armée nationale de libération de l’Ouganda jusqu’à son démantèlement en 2007. Très implanté dans le Nord-Kivu, on recense de nombreux massacres, viols et pillages. Entre 2014 et 2017, on compte plus 6 000 morts seulement aux alentours de Beni. Depuis 2019, leurs raids, sont revendiqués par l’État Islamique (EI) et les États-Unis placent immédiatement l’ADF sur la liste des organisations terroristes affiliées à l’EI.


Les FDLR, composées d’ex-soldats génocidaires rwandais, font également partie des groupes rebelles les plus importants du pays. Créées par des ex-génocidaires rwandais réfugiés en RDC, les FDLR sont responsables de nombreux massacres dans la région du Kivu où de nombreux Rwandais ont trouvé refuge. Le nombre de morts qui peut leur être attribué est difficilement quantifiable, car il y a des décès liés directement aux violences des FDLR (une centaine par an environ) et beaucoup plus liés à leur stratégie de déstabilisation (entre plusieurs milliers et 5,4 millions de morts entre 1998 et 2007). Ils sont accusés par les Nations-Unies de meurtres de masse, violences aggravées, violences et mutilations sexuelles sur des femmes et des enfants, enlèvements et déplacements forcés menaçant ainsi la paix et la sécurité internationale.


La LRA, ou Armée de Résistance du Seigneur, créée en 1986 en Ouganda est une organisation qui a pour but de fonder un système théocratique basé sur les Dix commandements de la Bible. Elle est placée par les États-Unis comme organisation terroriste après avoir tenté de renverser le président ougandais Yoweri Museveni. Le mouvement s’étend au-delà des frontières ougandaises et commet de nombreux crimes au Soudan du Sud, en République Centrafricaine et en RDC. Son mode opératoire est l’enlèvement d’enfants. Les jeunes garçons sont utilisés comme soldats et les jeunes filles comme esclaves sexuelles. Certains estiment la part d’enfants-soldats au sein de la LRA à 80 % des effectifs. L’ONU estime que le groupe a tué entre 60.000 et 100.000 enfants et déplacé 2,5 millions de personnes ces 25 ans dernières années. Joseph Kony, surnommé « le Messie sanglant » est le chef de l’organisation poursuivi pour Crime de Guerre et Crime contre l’Humanité par la CPI et Interpol depuis 2005. Il instaure un onzième commandement qui interdit l’utilisation du vélo sous peine d’amputation.


Les milices de défense locales :


Afin de contrer l’arrivée de ces groupes étrangers sur le territoire, des milices nationales de défense se créent. La plupart jouent un rôle de défense des populations civiles victimes de la guerre et de la cruauté de ces combattants étrangers. Cependant, certains de ces groupes nationaux sont tout autant meurtriers et contribuent à la déstabilisation de la région et à la violence permanente.


Le groupe le plus actif est celui des Maï-Maï. Armés pendant la Seconde Guerre du Congo par Kinshasa pour contrer les groupes armés étrangers rwandais et ougandais qui sévissaient dans l’Est, ce groupe demeure toujours actif malgré les nombreuses tentatives de désarmement du gouvernement congolais. Ils se situent essentiellement dans la région du Kivu. N’étant pas inclus dans les accords de Lusaka, les Maï-Maï ne sont pas intégrés dans les plans des programmes de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion des groupes armés congolais (DDR). Les rapports du Conseil de sécurité rapportent des sous-groupes aux Maï-Maï tels que les Maï-Maï Simba ou les Maï-Maï Yakutumba dont leur chef, William Amuri Yakutumba, utilise son influence dans de nombreux trafics avec la Tanzanie selon le GEC.


L’APCLS, a été créée en 2008 par un ex-général de l’armée régulière qui s’est rebellé, Janvier Karairi. L’APCLS est une milice qui protège depuis 2012 Masisi, au Nord-Kivu, le territoire natal de Janvier Karairi. Longtemps sous la menace rwandaise en proie aux FDLR et le RDC-Goma, l’APCLS a réussi à sécuriser en partie la zone. C’est pourquoi Janvier Karairi a déclaré le 15 août 2020 prêt à déposer les armes si l’État congolais acceptait un compromis pacifique. L’APCLS est formée de nombreuses milices locales qui luttent surtout contre la menace des groupes rwandais et pro-rwandais tout comme Raïa Mutomboki, qui veut dire « Peuple en colère » en Swahili, au Sud-Kivu (Est).


D’autres milices comme les Forces de Résistance Patriotique de l'Ituri (FRPI) se battent pour la protection de certaines minorités ethniques comme les Lendu. Ils s’allient avec le Front des Nationalistes et Intégrationnistes (FNI) mais également aux Ougandais et au Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD). C’est ainsi qu’on observe une autre dynamique de ces guerres, la dimension ethnique.


Afin de protéger également l’ethnie des Lendu, l’UPC se rapprochent de Kigali afin d’étendre leurs forces. Le groupe Nyatura, qui est une milice hutu congolaise, quant à lui, lutte contre tous les groupes hostiles aux rwandophones, notamment les Maï-Maï. La présence de ce groupe s’explique par la proximité du Rwanda et du contrôle qu’il a sur le territoire. En effet, dans l’administration effective de la région, Kigali est plus efficace que Kinshasa. L’ONU a démontré l’existence d’une collaboration entre les FDLR et eux. Ils seraient présents dans le Nord-Kivu, non loin de la frontière rwandaise. Le groupe Mazembe fait de même. Ainsi, s’ensuivent des longues périodes de représailles et contre-représailles entre des milices patriotes congolaises et des milices de défense ethnique soutenant les pays voisins.


Les FARDC sont les forces officielles congolaises. Elles représentent une des forces de l’armée régulière. L’idée est de créer un mixage entre soldats et anciens rebelles. Cependant, ce groupe au service du gouvernement central n’est pas un justicier bienveillant. En effet, les FARDC sont accusées de spoliation, de vol et de taxation forcée. Il y a une certaine impunité qui est justifiée par le manque de moyens pour l’entretien de l’armée. De fait, les populations de l’Est redoutent les militaires et préfèrent confier leur protection à des milices armées locales. Depuis l’état de siège proclamé en Ituri depuis le printemps 2021, des groupes d'experts de l’ONU rapportent de nombreux crimes de guerre (violences, exécutions sommaires, pillages, viols) commis par des FARDC dans des villages réputés pro-FRPI.



(Source : Armed groups in eastern DRC, The New Humanitarian, 2013 <thenewhumanitarian.org>)



Sans vouloir faire un catalogue de ces groupes armés, leur présentation est utile pour comprendre certaines dynamiques.


Tout d’abord, malgré la multitude de groupes, une tendance majeure s’observe. Il y a une véritable lutte armée entre des groupes patriotes pro-congolais et des groupes congolais ou étrangers soutenus par des puissances voisines. Le coeur des tension a lieu entre factions pro-congolaises et factions pro-rwandaises. Le schéma est assez récurrent. C’est pourquoi un rapprochement entre la RDC et le Rwanda pourrait être un facteur d’apaisement des tensions. Cependant, les observateurs internationaux ne sont pas aussi enthousiastes face à ce rapprochement. La raison est que le Rwanda occupe une position ambiguë dans cette guerre. Il est à la fois pompier et pyromane.


La deuxième tendance observable est que, malgré la diversité de ces groupes, la plupart sont poursuivis pour Crime de Guerre et Crime contre l’Humanité. Ils survivent grâce au chaos et à la violence, profitant du désordre pour s’enrichir en pillant les mines et les villages, recrutant des enfants-soldats et martyrisant la population.


Une guerre ethnique ou une colonisation du Rwanda qui dégénère ?


La dimension ethnique semble prendre une place importante dans le Nord-Kivu. Cette région frontalière au Rwanda n’a cessé de connaître la guerre et les conflits ethniques. Pour illustrer ces massacres incessants, le 21 octobre 2020, des membres de la tribu des Bantous ont chassé des Banyamulenges de leur territoire, contraints à l’exil dans le Sud-Kivu. Les Banyamulenges sont des Tutsis congolais avec de lointaines origines rwandaises. Les Bantous se revendiquent congolais autochtones et chassent ceux qu’ils considèrent comme des envahisseurs venus de l’Est. Ainsi, les tensions s’embrasent ; les Banyamulenges sont armés et entraînés par Kigali tandis que les Bantous sont allés chercher de l’aide auprès des Maï-Maï. Si les Banyamulenges se considèrent congolais, car présents depuis plusieurs générations dans le pays, les Bantous, quant à eux, voient en eux des descendants de ceux qui les ont spoliés de leurs terres pendant la Première Guerre du Congo.


L’arrivée massive de Rwandais d’abord avec les réfugiés Tutsis rwandais, puis des Hutus fuyant le régime de Paul Kagamé, précèdent l’arrivée de troupes tutsis rwandaises sur le territoire congolais pendant la Première Guerre sont l’une des principales causes des tensions ethniques au Nord-Kivu. Malgré les accords de paix, la nébuleuse des FLDR plane toujours. Ce groupe paramilitaire, dont il est difficile de prouver le degré d’implication de Kigali, sème le chaos dans la région des Grands Lacs. Si les FDLR se justifient d’être un groupe rebelle opposant au régime rwandais se servant du Nord-Kivu comme base arrière, aucune attaque contre le Rwanda provenant de RDC n’a été enregistrée. Bien au contraire, le pillage des ressources des FDLR profiterait au Rwanda qui exporte des ressources comme le coltan qui proviennent de RDC.


En outre, le boom démographique que connaît le Rwanda pousse les populations Tutsis, généralement des éleveurs, à migrer vers l’Ouest et notamment dans le Nord-Kivu où les terres sont vastes et propices à l’élevage. Il y a donc des crispations sur le plan foncier et ethnique qui embrasent depuis 30 ans ces terres. Cette conquête foncière a aussi lieu avec les FDLR qui investissent dans l’immobilier et l’hôtellerie à Goma, mais aussi au Burundi et en Ouganda. Il y a une dynamique d’installation sur le long terme. Cela engendre des frustrations et des tensions. Sans réelle volonté politique, les tensions ne pourront pas s’apaiser. À l’image du conflit israélo-palestinien, aucune solution ne fait consensus. Les questions des frontières, de la nationalité et du partage des terres ne sont pas à l’ordre du jour des gouvernements ni de la communauté internationale.


Notes :


  1. AFDLC : Alliance des Forces Démocratiques et de la Libération du Congo

  2. Propos repris de l’article de Le Monde « Des propos du président rwandais suscitent l’indignation en RDC »

  3. Franc congolais

  4. ADF: Allied Democratic Forces

  5. FDLR : Forces Démocratiques de Libération du Rwanda

  6. LRA : Lord Resistence Army

  7. FARDC : Forces Armées de la République Démocratique du Congo

  8. GEC : Groupe d’Étude sur le Congo

  9. APCLS : Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain

  10. UPC : Union des Patriotes Congolais


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