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Nos téléphones sont-ils des tueurs en série ?

  • Photo du rédacteur: Jeanne Pasadovic
    Jeanne Pasadovic
  • 23 mars 2021
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 nov. 2021

Une étude¹ a révélé que nous passions environ 10 heures/jours devant nos écrans¹. A l’aube de la transition numérique et de l’arrivée de la 5G, notre dépendance aux nouvelles technologies est accrue. On estime que 67% de la population mondiale aurait un téléphone portable. Mais quelle est la face cachée de ce marché en plein expansion ?

Un marché des nouvelles technologies florissant


Si les téléphones sont assemblés la majorité du temps en Chine, les matières premières proviennent de différents horizons. Le coltan, principal composant de l’étain et excellent conducteur électrique indispensable dans les produits high-tech, provient de la République Démocratique du Congo (RDC). Entre 60 à 80% de l’exploitation du coltan proviendrait de l’Est de la RDC, dans la région du Kivu.

Carte des ressources naturelles de la RDC. (Source : Philippe Rekacewicz, Les richesses convoitées de la République Démocratique du Congo, Le Monde Diplomatique, 2000)


Le coltan est un mélange de tantale et de colombius qui permet la conduction d’électricité. Il est présent dans les téléphones portables, les ordinateurs et dans l’industrie de l’armement. Son prix de vente se définit par des agents intermédiaires en fonction de l’offre et de la demande ainsi que de son pourcentage de tantale présent. Selon les experts, le coltan congolais aurait le taux de tantale le plus élevé au monde. Cependant, les informations concernant le coltan congolais ne sont que des estimations car aucune donnée n’a été officiellement recensée.


Aux proies aux guerres ethniques, religieuses et sécessionnistes, la RDC n’a connu que la guerre depuis son indépendance en 1960. Depuis, le Kivu est particulièrement touché par ces guerres car il regorge de ressources naturelles qui attirent les convoitises. Depuis la première guerre du Congo, le Rwanda n’hésite pas à agiter la région pour pouvoir obtenir une part du gâteau. En effet, le minerai attire les puissances industrialisées qui en sont dépendantes.


Les « creuseurs » et leurs familles se retrouvent au centre d’un marché mondial en plein expansion où les intérêts conflictuels à différentes échelles sont facteurs d’extrême pauvreté, de violences et de guerres.


Quelles sont les conséquences de cette industrie sur le bas de la chaîne de production ?


Un pays en proie aux guerres


La RDC est un pays qui n’a connu que la guerre et les ingérences étrangères. Dès son accès à l'indépendance, le 30 juin 1960, la RDC s’enlise dans des conflits sans fin. Patrice Lumumba, leader du Mouvement National Congolais, accède au poste de Premier Ministre. Partisan d’une unité nationale, il refuse l’indépendance de la riche province du Katanga, contrecarrant de fait, les projets économiques belges. Avec l’éclatement d’une guerre civile soutenue par Bruxelles, Kinshasa se tourne vers Moscou pour demander une aide militaire. Loin de vouloir un alignement politique avec Moscou, cette demande suffit néanmoins à effrayer Washington. La CIA s’empresse alors d’appuyer Joseph-Désiré Mobutu, chef de l’Etat-major et de commanditer l’assassinat de Lumumba avec des ministres belges et katangais. Lumumba sera assassiné le 16 janvier 1961, son corps démembré et jeté dans l’acide. Deux de ses dents conservées par un commissaire de police belge ont été restituées à la famille en 2016.


Après plusieurs années d’incertitude, Mobutu s’auto-proclame chef de l’État. Il mène une politique autoritaire et alignée sur les États-Unis durant la Guerre Froide. Cependant, à la fin de celle-ci, les États-Unis retirent peu à peu leur soutien. De facto, l’influence de Mobutu en pâtit notamment après la Première Guerre du Congo (1996-1997).


L’influence décroissante de l’Occident en RDC a suscité la convoitise des pays voisins. Le Rwanda, à proximité géographiquement des mines de coltan, voit une occasion pour s’accaparer une partie de ces richesses. Le conflit prend ses racines à la suite du génocide du Rwanda (1994). Des Hutus ex-génocidaires ont fui le Rwanda après la prise de pouvoir de Paul Kagame, un Tutsi, par peur de représailles. Ces populations Hutus persécutent et commettent des actes génocidaires sur les populations Tutsis congolaises. Le Rwanda arme les Tutsis congolais pour qu’ils puissent se défendre. Toutefois, Mobutu voit d’un mauvais œil l’ingérence rwandaise et ordonne aux Tutsi de quitter le pays (à savoir que tous les Tutsis n’ont pas la nationalité). En réponse, le Rwanda et l’Ouganda créent en 1996 l’AFDL (l’Alliance des Forces Démocratiques de la Libération du Congo) qui sont des groupes rebelles congolais opposés à Mobutu. L’AFDL est menée par Désiré Kabila qui, en 1997, marche sur Kinshasa, prend le pouvoir et s’auto-proclame président de la RDC. Une fois au pouvoir, il chasse ses anciens alliés et ordonne aux Tutsis de quitter le pays. Des centaines voire des milliers de Tutsis se font lyncher à Kinshasa.


La fin du conflit ne met pas un terme aux tensions et une Seconde Guerre du Congo éclate toujours sous un fond de guerre ethnique (1998-2003). Les Tutsis de l’armée de Kabila se rebellent et, soutenus par l’Ouganda et le Rwanda, forment la RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie). Les voisins de la RDC pensaient trouver un ami en Kabila qui leur donnerait des terres. Pour réponse, ils prennent le contrôle d’une partie de l’Est du pays. Kabila crée des milices anti-Tutsi et des violences apparaissent partout sur le territoire. Toutes ses milices s’affrontent entre elles. Il s’agit d’une guerre non conventionnelle, s’appuyant sur des stratégies de terreur et de déstabilisation en prenant pour cible principalement la population. En 2001, Kabila est assassiné et son fils, Joseph Kabila lui succède. En juillet, un accord de paix est signé. Au même moment, les Nations-Unies entrent en jeu et envoient les Casques Bleus afin d’y maintenir la paix. Cette opération est toujours en vigueur aujourd’hui et est devenue la plus longue opération de maintien de la paix. Cependant, tous les groupes ne sont pas désarmés et certains continuent à se faire la guerre entre eux.


En 2003, afin de calmer les tensions présentes depuis presque 40 ans, un gouvernement de transition composé des différents groupes armés est créé. Mais la plupart ne peuvent pas travailler ensemble et n’ont aucune envie ni de se rassembler ni de se pacifier. Le général Tutsi Laurent Nkunda prend la tête de ces armées en se révoltant contre le gouvernement. La guerre se concentrera par la suite au Kivu jusqu’à nos jours où les viols et les pillages sont les armes de guerre de prédilection. Depuis 2013, date de fin officielle de la rébellion, on recense encore une centaine de groupes armés qui continuent de s’affronter (groupes politiques, des groupes de pillage, djihadistes ou des groupes d’auto-défense formés par les villages pour se prémunir des pillages). Le gouvernement central se préoccupe peu de la sécurité de la région car aucun de ces groupes n’est en mesure de le menacer. La mission de la paix présente est dans une impasse et la population réclame de plus en plus son renvoi.


La population du Kivu subit ces affrontements et ne parvient pas à être protégée. Comme une malédiction qui hante ces terres, les ressources sont sans équivoque la principale motivation de ces affrontements sans fin.


Un marché brouillé


Les répercussions de la guerre sont dévastatrices. Elles laissent un pays plongé dans le chaos. Les premières victimes sont les populations qui subissent de plein fouet les agressions armées et les dommages économiques, sociaux, psychologiques et environnementaux. Loin d’être la préoccupation majeure de Kinshasa, les conditions de travail de ceux qu’on appelle les « creuseurs » dans les mines de coltan sont déplorables. Les ONG dénoncent des salaires trop bas, le travail d’enfants et de femmes enceintes ainsi que des accidents mortels réguliers. Cependant, il est impossible de chiffrer le nombre de personnes qui perdent la vie chaque année dans ces carrières. De plus, l’extraction de ce minerai produit de hauts taux de radioactivité auxquels les creuseurs sont exposés sans aucune protection.

Enfants travaillant dans une carrière de coltan au Kivu. (Source : humanium.org)


En 1996, le modèle de l’extraction minière industrielle s’effondre au profit d’un modèle plus artisanal. De nombreuses familles se ruent vers l’Est du pays pour tenter de s’enrichir. Bien que cette ruée vers l’Est contribue à un abaissement relatif du chômage, les expropriations sont courantes.


Les exportations de coltan ont été, pendant un temps, sous le monopole de la SOMIGL avant que Kinshasa n’ouvre le marché du coltan à l’économie de marché. Cette ouverture est due aux nombreuses pressions de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) qui profitait des tensions dans la région afin d’exploiter certaines mines. L’enquête du Conseil de Sécurité (d'avril 2001à octobre 2002) dénonce un véritable pillage des ressources minières dans l’Est Congo au profit du Rwanda et des divers groupes armés et autres réseaux criminels.


En effet, une part de l’extraction de coltan est tombée dans l’économie informelle. Fidel Bafilemba, directeur du groupe d’appui à la traçabilité et à la transparence dans la gestion des ressources naturelles explique que : « Avec l’insécurité et l’incapacité de l’Etat de mobiliser les capitaux nécessaires pour gérer les mines, une économie informelle s’est mise en place, abandonnée aux groupes armés et aux militaires congolais ».


Depuis la loi du Dodd-Franck (2010) votée aux Etats-Unis qui vise à stopper le financement de groupes armés et les violations des Droits de l’Homme via le commerce de minerais à travers le monde, les creuseurs souffrent d’autant plus. Une loi similaire a été votée au Parlement Européen en 2017 avec une mise en vigueur depuis 2021. Les creuseurs souffrent d’embargo. Pour y remédier, les creuseurs se sont organisés en coopératives afin de certifier les minerais, défendre leurs droits et augmenter leur salaire. Mais en réalité, ce sont souvent des systèmes d’exploitation maîtrisés par des élites locales qui bénéficient d’un pouvoir politique et/ou financier. Les rapports d’ONG ne constatent aucune amélioration des conditions de travail des creuseurs.


De surcroît, il est impossible de certifier une mine « propre ». En effet, il est impossible de prouver que durant l’extraction du coltan, la mine n’était pas sous le contrôle d’un groupe armé. Ces groupes sont nomades et insaisissables. De plus, un site sans armes ne signifie pas forcément de meilleures conditions de vie. En moyenne les ONG estiment que les creuseurs et leurs familles vivent avec moins de 3 dollars par jour. Les sociétés privées négocient directement avec les autorités congolaises les prix les plus bas. Le système de traçabilité imposé a un coût qui pèse sur le bas de la chaîne de production.


Existe-t-il un coupable ?


Il est difficile de chiffrer ce que l’extraction minière représente exactement. Il est évident que ce commerce profite à de nombreux acteurs : le gouvernement congolais, ses entreprises d’exportation de minerais, le Rwanda, l’Ouganda, les grands pays industrialisés, les grandes compagnies de produits technologiques, les groupes armés, les élites locales etc.


Le Rwanda profite de l’agitation dans le Kivu pour s’approprier les ressources de coltan congolais. Dans le tableau, on remarque que les pays voisins de la RDC exportent plus de coltan que le pays lui-même. A noter qu’on ne trouve pas de gisement de coltan au Rwanda. La tendance s’inverse un peu à partir de 1998 avec les rébellions contre Kabila et la création de la SAMIKA qui était une société minière congolaise dont l’Etat détenait 60% des parts.

(Source : Patrick Martineau, La route commerciale du coltan congolais, Grama,

groupe de recherche sur les activités minières en Afrique, Montréal, 2003)


La déstabilisation du Kivu est la conséquence directe des problèmes internes du Rwanda (transposition des violences intercommunautaires Hutu/Tutsi et surpeuplement). Kigali exerce un pouvoir direct sur la région contrairement à Kinshasa qui peine à faire valoir sa légitimité. Cela est dû à la distance avec la capitale et au manque d’infrastructures routières qui la relierait avec ses provinces de l’Est. De plus, Kigali s’appuie sur la division linguistique et culturelle pour asseoir sa légitimité dans la région. En effet, au Rwanda comme dans l’Est de la RDC, on parle le Kinyarwanda.


Mais on retrouve aussi des acteurs non-africains dans la région. La présence d’AK-47 alors qu’aucun des belligérants ne possède d’usine d’armement prouve qu’il y a eu des ventes d’armes aux groupes armés et ce, malgré l’embargo sur les armes décidé par le Conseil de Sécurité en 2002 et reconduit jusqu’à aujourd’hui². La présence de seigneurs de la guerre et d’un commerce d'armes mondial ne fait aucun doute.


On sait que le coltan est acheté par des entreprises nord-américaines, européennes et est-asiatique. Ce sont eux les principales industries du numérique et de l’armement. Cependant, cette vente se fait par des intermédiaires afin de contourner les restrictions sur les certifications des mines. Cela contribue à rendre les enjeux de la guerre au Kivu flous et la traçabilité des minerais impossible. Le commerce du coltan est un enjeu commercial très important.


C’est pourquoi la Chine a troqué la dette congolaise contre des infrastructures minières. Dorénavant, elle détient 68% des dividendes contre 32% pour la RDC. Se lançant dans la diffusion de la 5G à l'échelle mondiale, la Chine souhaite avoir la main sur les matières premières indispensables à son projet.


Une guerre profitable ?


On ne peut nier la corrélation entre les guerres qui ravagent le Kivu et l’abondance de richesses en son sein. Le coltan fait partie des ressources les plus convoitées de la région car il n’existe aucune alternative de minerais capable de conduire aussi efficacement l’électricité.


Les convoitises sont à toutes les échelles et l’ère du numérique les attise d’autant plus. Les creuseurs sont donc représentés comme les victimes d’un marché mondial qui les dépasse. Loin des préoccupations du reste de la planète, le manque de sources ainsi que le black-out de l’actualité mondial le démontrent. Il est difficile d’ignorer que nos téléphones portables contribuent à la mort de milliers de personnes dans une partie du globe, cependant, il est également difficile de renoncer à tout cela. En effet, il est difficile de faire sans téléphone, internet ou ordinateur car tout se dématérialise. Cyniquement, les creuseurs seraient les victimes, les « perdants » d’un système mondialisé qui bénéficierait au plus grand nombre à l’échelle mondiale.


Le Kivu est une zone grise qui contribue à la perpétuation de la violence et de la pauvreté sans perspective de sortie de crise imminente. Il existe d’autres gisements de coltan dans le monde comme en Australie mais le boycott du coltan congolais ne serait pas la meilleure solution pour la population qui souffre déjà de la guerre, de l’exploitation et des embargos.


 

¹ Étude de développer.com du 7 juillet 2020. Les 10 heures représentent le temps passé sur notre portable et devant notre ordinateur en cumulé.


² Résolution 1399 du Conseil de Sécurité relatif à l’interdiction de vente d’armes en RDC


Tim Raeymaekers et Jerwen Cuvelier, European Companies and the Coltan Trade: Supporting the War Economy in the DRC, International Peace Information Service (IPIS), Antwerp (Belgique), janvier 2002


En République Démocratique du Congo, le contrôle des métaux a mauvaise mine, Libération, 2019


Patrick Martineau, La route commerciale du coltan congolais, Grama, groupe de recherche sur les activités minières en Afrique, Montréal, 2003


OXFAM International, People in eastern DR Congo forced to fund the war that destroys their lives, 20 novembre 2012


Roland Pourtier, le Kivu dans la guerre : acteurs et enjeux, EchoGéo, 2009


Global Witness, Democratic Republic of Congo, 2019


Radio-Canada info, Du sang dans nos cellulaires, 2019


La guerre du Coltan en RDC : Repositionner le jeu des acteurs dans le paradigme des stratégies de puissance, recherche sous la direction de Christian Harbulot, École de Guerre Économique, novembre 2008


Mawayila Tshiyembe, Kinshasa menacé par la poudrière du Kivu, Le Monde Diplomatique, décembre 2008


Philippe Rekacewicz, Les richesses convoitées de la République Démocratique du Congo, Le Monde Diplomatique, février 2000


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