L’Afrique et le processus de mondialisation : développement et crise
- Celeste Fraiese
- 15 nov. 2021
- 8 min de lecture
Le couple « État-société » : la question de la gouvernance
Le continent africain représente l’épicentre de plusieurs conflits et le cœur de problématiques mondiales en raison de sa fragilité au niveau social mais aussi politique. L’Afrique subsaharienne, notamment la partie francophone, semble représenter le pivot de ces problèmes. La fragilité de ce continent est particulièrement due au découpage initial opéré par les États colonisateurs qui n’ont pas tenu en compte des différentes ethnies et traditions présentes sur les territoires.

Les problèmes régionaux mais aussi inter-Étatiques en Afrique durent depuis des décennies. Le développement de la région s'en trouve inévitablement ralenti. Les démocraties sont toujours plus instables, principalement du fait de la présence d'acteurs non-Étatiques. Tout ceci contribue à la fragilité des États africains.
Dans ce contexte de crise du système politique et de morcellement du pouvoir, il est important de focaliser l’attention sur le processus de formation et de développement de l’État et son rôle dans la société africaine. Donc, en quoi la situation critique de l'Afrique subsaharienne précisément, nécessitant l’intervention des organisations internationales, démontre-t-elle la difficulté voire l’impossibilité de mettre en place un modèle d'État moderne complet ?
Nous verrons donc dans un premier temps comment le système politique dans la région d’Afrique subsaharienne se retrouve aujourd’hui très fragile et bouleversé. Ensuite, nous étudierons comment le modèle démocratique moderne conduit ce continent dans l’impasse à cause du processus d’appropriation locale.
Des États « aux pieds d’argile » : la politique moderne en difficulté
L’État est représenté par la fusion de ces trois éléments : territoire, population et pouvoir politique. En plus, l’efficacité de l’État comme structure politique « neutre » est renforcée par la reconnaissance au niveau international et juridique des autres communautés ou encore structures politiques.
Aujourd’hui, la problématique principale de ce continent se focalise sur l’efficience de ce système qui est nécessaire afin d’éviter une anarchie totale ou encore l’éclatement de la violence. Pendant les dernières années, les mouvements rebelles et la lutte pour le pouvoir ont causé la naissance d'un état d'urgence au niveau humanitaire mais aussi le renforcement des difficultés économiques qui ne font que retarder le développement africain. Alors, en Afrique subsaharienne, quelle est la valeur de la démocratie, facteur de paix pour de nombreux pays occidentaux ? Quelles sont les causes principales qui poussent une prolifération constante des conflits sur le terreau du continent africain ?
Tout d’abord, le premier obstacle à surmonter est la personnalisation du pouvoir, plus précisément le pouvoir transmis de père en fils. Dans tous les régimes démocratiques, il y a un chef qui exerce et dirige la vie politique d’un État. En Afrique, le leader ne représente pas seulement l'incarnation du pouvoir politique et constitutionnel, mais il est également considéré comme une figure symbolique voire sacrale. Le problème se pose lorsque le pouvoir du Président n'est pas équilibré avec celui des autres personnalités constitutionnelles. Par conséquent, le déséquilibre provoque des tensions puisqu'aucune institution, étant fragile, est incapable de s'opposer à cette autorité. Le manque de collaboration des pouvoirs et, par conséquent, de la parité entre structures fragilise le système gouvernemental. La période du rideau de fer a alimenté l’éclatement des conflits. L’Afrique est devenue le champ de bataille entre les grandes puissances.

Le phénomène d'instabilité nourrit les conflits internes (comme les guerres civiles, les tentatives de sécession et affrontements armés violents) mais aussi interétatiques (les invasions et les guerres de frontières) présents surtout dans les pays francophones qui demeurent sur le continent. C'est la zone francophone qui n’arrive pas à décoller avec une croissance beaucoup plus faible par rapport à la zone anglophone par exemple. Ensuite, la réalité sociétale et celle politique se mêlent tout en alimentant une concurrence identitaire mais aussi une confusion des rôles. Ce n’est pas par hasard que la lutte politique dans le continent africain est causée principalement par une rivalité permanente entre les identités nationales et les communautés locales ou ethniques. Ce sont les revendications de chaque ethnie et leurs divergences avec les institutions qui alimentent les fractures de ce continent. Le chômage, le taux de pauvreté et la difficulté à accéder à un système d'éducation valable pour tous alimentent l’instrumentalisation de la question ethnique mais aussi le développement de groupes armés. Le ralentissement du développement (économique, social et durable) représente donc une des sources des conflits.
L’échec de la démocratie « universelle » : tête à tête entre institution et groupes autonomes
L’Afrique a toujours été dans la tourmente : l’absence d’une forme stable de gouvernance et d'alternance politique, l'insécurité permanente mais aussi les scénarii de crise sociale représentent des facteurs perturbateurs. Par conséquent, l’Afrique subsaharienne représente une vaste partie du ventre mou de ce continent : c’est un grand espace qui englobe maintenant les problématiques de tout le continent comme le terrorisme, les guerres civiles, la piraterie, l’exploitation illégale des ressources naturelles mais aussi le trafic d’armes et d’êtres humains.

Tout d’abord, plusieurs États africains sont touchés par la prolifération des groupes criminels radicaux et violents, notamment en RCA, en RDC mais aussi dans le Tchad et le Cameroun déjà caractérisés par des conditions de vie très précaires surtout liées aux crises socio-économiques. Les activités terroristes freinent ou bloquent les activités étatiques et exacerbent les conflictualités. Parmi les groupes déstabilisateurs, il y a Boko Haram, Seleka, FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) et l’Armée de résistance du Seigneur. Ces groupes de rebelles se présentent comme des protecteurs des intérêts des communautés : la flambée de leurs idéologies violentes prend racine là où les inégalités sociales et les déséquilibres locaux sont très développés. En outre, ils sont les auteurs des pires crimes motivés par la soif de pouvoir. L'accroissement des activités terroristes et la résurgence des conflits sont la preuve de l'inefficacité du fonctionnement des États en matière de préservation de la stabilité interne, développement économique et protection des droits de l’Homme. Le manque de concurrence sur le marché économique et la privatisation des entreprises favorisent le renforcement de la faiblesse du système politique dans ce continent.
L’Afrique oscille entre mauvaise gouvernance et retour au communautarisme, ce qui est très dangereux pour les libertés individuelles et pour le maintien de la paix. C’est la conséquence de la faiblesse de la classe politique et de la fragmentation sociale. Par conséquent, l’échec de la majorité des institutions politiques ne permet pas de représenter intégralement la population qui ne croit plus dans l’utilité de l’État car ce sont des États aux pieds d’argile. C’est cette difficulté au niveau structurel qui encourage le développement de groupes criminels. Par conséquent, le fossé entre institution et population augmente de plus en plus. Ces entités autonomes se battent pour le partage du pouvoir en provoquant des guerres civiles sanglantes et une récession dans toutes les régions comme un « effet domino ». L’évolution de la région est freinée par les conséquences négatives de décennies d'insécurité et de sous-développement qui l'ont durement frappé.
Dans ce contexte politico-culturel faible où la démocratie n’arrive pas à s’imposer, les détenteurs du pouvoir veulent s’accaparer les principales ressources publiques et naturelles, plus précisément entre biens publics et privés. Par exemple, le contrôle du marché de diamants a été l’enjeu de beaucoup de conflits, notamment en RDC pendant les années 1990-2000 d’où l’expression « diamant du sang ».
Pour conclure, malgré la présence des organisations internationales et l’intervention des puissances occidentales, la situation est toujours très tendue. Les négociations entre pouvoir local et central semblent être dans l’impasse laissant l’opportunité aux dirigeants d’abuser de leur pouvoir.
L’Afrique subsaharienne et centrale dans l’impasse : besoin de redistribution et régulation du pouvoir et des ressources
Le réveil violent de la lutte pour le pouvoir, des ethnies et régionalismes favorisent l’élargissement d’un climat extrêmement tendu dans cette partie du continent. Les mobilisations identitaires, les basculements politiques mais aussi les conflits civils fragilisent l'État. Donc la vulnérabilité de l’État en Afrique est causée par différents facteurs : inégalités massives, crise du système économique, hétérogénéité ethnique mais aussi faible développement des technologies. Plusieurs lacunes affligeant le progrès de ce vaste continent.
L'Observatoire a contacté le doctorant en histoire militaire africaine Bruce Mateso afin d'avoir ses réponses sur des questions permettant de mieux comprendre la situation dans le continent africain.
Tout d’abord, quel est le poids du continent africain après la crise sanitaire dans la mondialisation ? Ensuite, quels sont les avantages et les inconvénients de la participation de l’Afrique dans le processus de mondialisation ?
Le poids dans l’économie mondiale n'a globalement pas changé. L’avantage de la plus grande marginalité de l’Afrique dans la mondialisation est la moins forte circulation du virus. Ce qui crée un impact direct moindre de l’effet du virus sur l’économie. Par contre, le ralentissement économique mondial pèse car les économies africaines étaient en grande partie sur les exportations de matières premières, les baisses de commande de la Chine, 1er partenaire économique de nombreux pays africains, induisant une baisse directe des recettes pour les Etats Africains.
1. Deuxièmement, comment améliorer les institutions étatiques en Afrique ? Ensuite, comment expliquer le retard institutionnel dans ce vaste continent ?
Vaste question. Il faudrait faire des institutions étatiques correspondant à la fois aux sociologies africaines pour être suffisamment inclusives et fortes pour administrer correctement les territoires sans marginaliser. L’héritage colonial est la première cause du retard institutionnel. Ensuite vient la difficulté des réformes à cause de la faiblesse des Etats, dépendant des aides internationales. Pas de réelle indépendance.
2. Malgré toutes ces ressources comme l’or, le pétrole, le diamant…l’Afrique est placée au rang de continent pauvre. Pourquoi l’Afrique reste-t-elle encore aujourd’hui l’un des continents les plus pauvres du monde ? Selon mon opinion, le développement d’un pays est caractérisé par différents facteurs comme le bon fonctionnement du système politique, économique mais aussi social. Etes-vous d’accord ? Ou bien ajouterez-vous d’autres éléments ?
Globalement d’accord.
3. Avec la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l’Union Soviétique, un nouvel équilibre prend forme avec la présence des Etats mais aussi des acteurs transnationaux qui influencent toutes formes de négociations. Aujourd'hui, cependant, nous remarquons la prolifération de groupes non-étatiques qui érodent le rôle de l'État et ses pouvoirs. Peut-on encore considérer le rôle de l'État comme efficace ? Avec le temps, est-il voué à disparaître ou à transformer sa structure ?
Il faut le refonder pour qu’il soit légitime et non pas juste un instrument de pouvoir pour les élites prédatrices.
Pour conclure, cette disparité et ce pluralisme identitaire permettent de comprendre la situation africaine aujourd’hui. L'héritage colonial représente un seul morceau de ce mosaïque. Une approche plus transversale permet d'expliquer globalement les déterminants des conflits. Le renforcement des politiques régionales et de la coopération pourrait-t-il aider à lever ce blocus?
Note :
SUPÉRIEUR Boeck « LE DIAMANT DANS LA GÉOPOLITIQUE AFRICAINE », « Afrique contemporaine », 2007
Bibliographie :
Guy Rossatanga-Rignault, « IDENTITÉS ET DÉMOCRATIE EN AFRIQUE » (entre hypocrisie et faits têtus), De Boeck Supérieur « Afrique contemporaine » 2012/2 n° 242 | pages 59 à 71, Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2012-2-page-59.htm
Fabrice Hourquebie, « QUEL STATUT CONSTITUTIONNEL POUR LE CHEF DE L'ÉTAT AFRICAIN ? » Entre principes théoriques et pratique du pouvoir, De Boeck Supérieur « Afrique contemporaine » 2012/2 n° 242 | pages 73 à 86, Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2012-2-page-73.htm
PNUD. « L’AFRIQUE CENTRALE, UNE RÉGION EN RETARD ? », Mars 2017
SUPÉRIEUR Boeck « LE DIAMANT DANS LA GÉOPOLITIQUE AFRICAINE», « Afrique contemporaine », 2007, Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2007-1-page-173.htm
S. Ibi Ajayi. « Comment l’Afrique peut bénéficier de la mondialisation », Finances & Développement / Décembre 2001.
ArteTV 28 Minutes. « La France est-elle responsable des problèmes de l’Afrique ?», disponible du 09/03/2021 au 09/03/2022. Documentaire disponible en ligne à l’adresse : https://www.arte.tv/fr/videos/102629-002-A/la-france-est-elle-responsable-des-problemes-de-l-afrique/
Article bien écrit et de grande clarté. Des informations pertinentes et bien exposées. On voit le travail de recherche de fond.