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L’Afrique : un nouvel épicentre du djihadisme

  • Photo du rédacteur: Jeanne Pasadovic
    Jeanne Pasadovic
  • 23 sept. 2021
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 nov. 2021



La multiplication de groupes djihadistes sur le continent africain



Le 24 mars 2021, un groupe de combattants ayant prêté allégeance à l’État Islamique (EI) en 2018, Ansar al-Sunna, a pris la ville de Palma au Mozambique. Cette attaque a surpris la communauté internationale de par sa distance avec le monde musulman et son efficacité dans le mode opératoire.


En effet, Ansar al-Sunna avait prévu une attaque par le Sud qui servait de leurre pour une attaque par le Nord. Cette organisation et cette stratégie permettent aux observateurs d’affirmer que ces combattants ont été formés et équipés par l’EI.


De surcroît, il était étonnant que des groupes djihadistes aient été en mesure de prendre une ville dans cette région d’Afrique. En effet, le Mozambique est un pays à majorité chrétienne avec moins de 20% de population musulmane.


Mais ce n’est pas le seul pays non-musulman qui recense des djihadistes sur son territoire. Les États-Unis ont placé l’ADF (Forces Démocratiques Alliées), groupe armé puissant dans l’Est-RDC, comme étant affilié à l’EI.


Si l’ONU émet des réserves quant au développement d’une réelle menace djihadiste en Afrique centrale et australe, d’autres spécialistes parlent d’une possible internationalisation du terrorisme. Et celle-ci commencerait en Afrique.


(Source : iremos.fr)



Des facteurs propices au terrorisme



Pour comprendre la prise de Palma et la présence djihadiste dans le sud du continent, il faut étudier les dynamiques locales et les dynamiques globales.


La présence de ces groupes est intrinsèquement liée à la faiblesse de l’État. En effet, sur la carte ci-dessus, les djihadistes sont présents dans des zones difficiles d’accès comme le Sahara ou dans des pays en proie aux guerres civiles comme la Somalie.


Lorsque l’on mesure le pouvoir effectif de l’État sur son territoire, de nombreuses zones grises apparaissent. Cette vacance du pouvoir profite aux groupes armés. Au Mali, Bamako ne contrôlerait que le tiers sud du pays en raison de sa géographie difficile au Nord.



Carte du contrôle du territoire malien (Source : alternatives-économiques.fr)


Cependant cet abandon du Nord couplé aux nombreuses crises politiques et économiques fait du Mali un État failli - un État ne pouvant assurer ses fonctions régaliennes - en proie à la violence et aux groupes djihadistes.


La faillite des États africains entraînent par conséquent une hausse de l’insécurité et du terrorisme, notamment le terrorisme islamique. Les conséquences de la guerre de Libye l’illustrent parfaitement. Avec la déstabilisation du pays, les groupes armés se sont disséminés dans tout le Sahara en emportant avec eux des armes. Venus grossir les rangs des groupes djihadistes du Sahel, leur dangerosité provient de leurs méthodes violentes et de leur capacité à contrôler les zones stratégiques.


La faiblesse de l’État ainsi que la prolifération de la violence sont des facteurs principaux propices à l’émergence de groupes djihadistes. De surcroît, la pauvreté et le chômage, notamment chez les jeunes, sont également des facteurs importants pour le recrutement de ces groupes.


En Somalie, 15% de la population sont touchés par le chômage. Au Mali, seulement 4% de la population sont touchés par le chômage mais 60% sont inactifs. Quant au Tchad, 5,8% de la population sont sans emploi dont 60% de jeunes. De nombreux spécialistes s’accordent sur la relation pauvreté/chômage et engagement terroriste. Le manque de perspective et l’inactivité sont des réservoirs de recrutement pour les djihadistes.


Pour bien comprendre ces facteurs, la situation de la Somalie semble être un bon exemple. Entre la question des frontières, le morcèlement du territoire entre plusieurs régions revendiquant l’autonomie (le Puntland) ou l’indépendance (le Somaliland), les guerres civiles, les ingérences étrangères (notamment éthiopienne et kenyane), la piraterie, la pauvreté, les sécheresses et les famines, la Somalie a développé un terreau fertile au terrorisme.


Depuis la chute du régime de Mohamed Siad Barré en 1991, le pays est plongé dans un grand vide de gouvernance, laissant la porte ouverte aux guerres de pouvoir. Des territoires font sécession avec Mogadiscio comme le Somaliland. La vacance du pouvoir entraine des guerres claniques sans fin.



Carte de la fragmentation du territoire somalien (Source : observatoirepharos.com)


L’émergence des tribunaux islamiques apparaît donc comme une bouffée d’air frais aux yeux de la population. En effet, après 15 ans de guerre civile, la prise de pouvoir de ces tribunaux offre une certaine stabilité politique. Par ailleurs, elle octroie un sentiment de sécurité avec entre-autre l’interdiction des armes.


En 2006, ces tribunaux s’unissent et se dotent d’un bras armé, Al Shabaab. Après une conquête du Sud du pays, y compris la capitale, Al Shabaab est repoussé par l’armée kényane en fin d’année 2011.


Aujourd’hui, le pays connaît toujours une très grande précarité économique, sociale et politique. Al Shabaab est toujours actif dans le Sud bien qu’il ait été repoussé des centres urbains. Il réalise de nombreux attentats dans le pays et au Kenya (exemple de l’attaque de l’université de Garissa qui a fait 148 morts). L’instabilité qui règne ouvre la voie au développement des groupes djihadistes.



Contagion du djihadisme ou « coup de com » ?



Aux regards des cartes, il semble y avoir une contamination du djihadisme sur le continent, partant du Nord pour aller vers le Sud. Cependant, les dynamiques sont loin d’être les mêmes.


Si en Somalie, le groupe Al Shabaab est plutôt bien accueilli, ce n’est pas le cas du Mali qui voit ces invasions djihadistes d’un mauvais œil. De fait, la possibilité d’une prise du territoire malien par l’EI, d’Al-Qaïda ou d’un de leurs groupes affiliés serait beaucoup plus difficile et temporaire qu’Al Shabaab en Somalie du fait du rejet de la population.


De plus, la présence de ces groupes est très disparate et ils n’ont que peu de contrôle dans les zones urbaines. On les retrouve dans les milieux ruraux où ils restent que peu de temps au même endroit.


Dans la région du Kivu, en RDC, la présence de minerais précieux comme le coltan attire la convoitise de groupes comme l’ADF, profitant de la faiblesse et de la distance géographique de la capitale.


Cependant, malgré la force de ce groupe et les financements de l’EI, l’ADF ne contrôle pas de manière permanente les mines. Cela illustre une certaine faiblesse avec une incapacité d’implantation.


(Source : theatrum-belli.com)


Néanmoins, les nouveaux groupes ayant prêté allégeance à l’EI dans le Sud du continent n’entre pas dans sa dynamique de conquête pour l’instauration d’un État Islamique. En effet, ils continuent de répondre à des dynamiques locales.


Au Mozambique, Ansar al-Sunna a pris le contrôle de la ville sans chercher à exploiter le site de gisement de gaz de Total situé à l’Est de la ville. Mais il semblerait qu’il ne s’agit pas d’une tentative d’instauration d’un État islamique mais plutôt d’une démonstration de force.


De fait, se pose la question d’une réelle expansion du djihadisme. Ces groupes n’ont de djihadiste que le nom car leurs activités restent les mêmes qu’avant. Bien que leurs actions n’aient que des conséquences locales, le fait de s’allier à de grands groupes terroristes internationaux provoque un écho planétaire.


Depuis le 11 septembre 2001, le djihadisme est devenu pour la communauté internationale l’incarnation du mal, de l’ennemi. Ainsi, en agissant sous le nom de l’EI, la portée des attentats est démultipliée, inquiétant les puissances internationales d’une islamisation sur tout le territoire africain.


En réalité, il s’agit plus de branding. Les groupes armés prolifèrent face aux nombreux maux dont souffre le continent. Toutefois, dans l’imagination collective, le djihadisme est beaucoup plus impactant car les attentats d’Al Qaïda et de l’EI commis sur toute la planète donnent lieu à un sentiment d’insécurité internationale contrairement aux groupes armés classiques qui n’ont que des portées locales.



Doit-on craindre cette menace djihadiste à l’échelle mondiale ?



La menace ne provient pas de la multiplication de groupes armés prêtant allégeance aux groupes djihadistes internationaux. En effet, ces groupes sont trop faibles et n’entrent que dans des dynamiques locales.


Leur expansion n’est présente que dans les zones grises où l’État n’a que peu de contrôle. En revanche, ces grands groupes internationaux ne parviennent pas à créer des filiales dans des zones du monde où l’État est fort comme en Europe.


Le danger de ces groupes réside que dans leurs exactions et les violences qu’ils engendrent sur les populations locales. Le réel danger n’est pas l’expansion du djihadisme mais la déstabilisation du continent qui alimente les guerres civiles, les famines, la pauvreté et le crime organisé.




Bibliographie :


Marc Lavergne, Aux racines du djihadisme africain, HAL archives ouvertes, New African/Le Magazine de l’Afrique, 2016


Propos recueillis par Julien Peyron, Djihadisme : « l’Afrique est devenu l’épicentre de l’EI », le Point International, 29/03/2021


Philippe Leymairie, En Afrique, d’autres foyers du djihadisme, Le Monde Diplomatique, février 2015


En Afrique, le territoire et l’extrémisme violent continuent de croître, ONU info, 11/03/2020


Annick Steta, La pauvreté fait-elle le lit du terrorisme ?, Association d’Economie Financière.f


Guerre, Terrorisme, Piraterie : Focus sur la Somalie, Le Monde en carte, 25/10/2018





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