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Myanmar, retour à la case départ ?

  • Photo du rédacteur: Louis Duclos
    Louis Duclos
  • 15 mars 2021
  • 8 min de lecture

Après des décennies de régime militaire dictatorial, le Myanmar semblait enfin avoir trouvé une certaine paix dans le mouvement de la Ligue Nationale pour la Démocratie de Aung San Suu Kyi qui avait conduit à une transition démocratique pacifique. La Tatmadaw, l’armée Birmane, souhaitant garder une place prépondérante dans la politique du pays, avait réussi à sécuriser 25% des places au sein du Parlement soit 110 sièges sur 440.

Manifestation en soutien au gouvernement élu démocratiquement à Macau.


Cette liberté a permis à Min Aung Hlaing, commandant en chef de la Tatmadaw, de s’opposer aux résultats des dernières élections de novembre 2020 après la victoire écrasante d’Aung San Suu Kyi et de prendre le pouvoir par la force après avoir décrété un état d’urgence d’un an le 1er février 2021. A la suite de ces événements, des mouvements de contestation se sont immédiatement levés, réclamant un retour à un régime civil et démocratique. Dans le même temps, Aung San Suu Kyi a été assignée à résidence.


Dans ce contexte extrêmement tendu pour le Myanmar, nous focaliserons notre analyse sur la situation géopolitique du nouveau régime militaire de Min Aung Hlaing en date du 11 mars 2021. Notre développement portera d’abord sur la violence comme seul outil du nouveau régime pour asseoir sa souveraineté, puis nous étudierons dans quelle mesure cette actualité évolue dans un contexte géopolitique contrasté.


La stratégie de la terreur


Dans un premier temps, nous observons que le nouveau régime de Min Aung Hlaing peine à trouver sa légitimité. En effet, bien qu’il argumente à qui veut bien le croire qu’il ne s’agit pas d’un coup d’État, la puissance des mouvements de contestation ainsi que les critiques internationales trahissent le malaise dans lequel est empêtré le nouveau régime. Comme tout régime, la nouvelle dictature Birmane a besoin de stabilité pour durer et conserver le pouvoir, c’est la raison pour laquelle la répression est si forte. En effet, les manifestations faisant rage dans tout le pays, le peuple a été très rapidement réprimé. Au début, ce fut avec l’usage de gaz lacrymogène et de canons à eau, puis vinrent les balles de caoutchouc et à présent, des tirs à balles réelles¹. Le 3 mars 2021, des homicides ont été dénombrés par les forces de sécurité du gouvernement. Selon Amnesty International, le régime aurait ordonné aux militaires de tirer pour tuer.²

Blocus militaire imposé sur un axe routier durant le coup d'État (source : France 24).


La stratégie est simple : celle de la terreur. En ordonnant le tir à balles réelles sur le peuple, le gouvernement souhaite le dissuader de manifester. Le 3 mars 2021, 22 personnes ont été tuées dans les manifestations selon l’Association d’Aide aux Prisonniers Politiques de Birmanie. Le 28 février 2021, c’étaient 17 manifestants qui avaient trouvés la mort, portant le total à 48 victimes. Certaines personnes auraient été lynchées à mort par les forces de sécurité et leurs matraques. Si les manifestations venaient à continuer, tout porte à croire que le bilan s’alourdirait rapidement. En dressant un parallèle avec le cas de l’Ukraine en 2014 dans lequel la force militaire Berkut avait tué de nombreux manifestants par des tirs de sniper et d’AK-47 durant les émeutes de Kiev, il apparaît que lorsqu’un gouvernement en vient à massacrer son propre peuple, il s’approche davantage de la guerre civile que de la stabilité politique.

Source : BBC News.


Mais cette stratégie de la terreur a un prix à payer car si le peuple Birman semble pour le moment démuni face à ce déchaînement de violence, les conséquences vont rapidement se faire ressentir sur la scène internationale pour le Myanmar.


Un contexte géopolitique contrasté


Dans un second temps, le Myanmar et son nouveau régime s’inscrivent aujourd’hui dans un paysage géopolitique contrasté. En effet, il est à noter que le pays est situé entre deux géants, la Chine et l’Inde, et que le coup d’État vient complexifier la situation.


Concernant l’Inde, le pays de Narendra Modi est dans une position inconfortable vis-à-vis du nouveau régime au Myanmar. Des liens commerciaux forts ont été tissés entre les deux pays ces dernières décennies et même davantage car les armées Indienne et Birmane ont eu l’occasion de coopérer et travailler ensemble dans la gestion de mouvements rebelles à la frontière entre les deux pays par le passé. La présence d’une importante communauté Indienne au Myanmar a permis le développement du commerce et d’intérêts communs.³ L’Inde souhaiterait défendre ses idéaux démocratiques mais son voisin a une place trop stratégique car il permet un accès direct à toute l’Asie du Sud-Est. De plus, il est délicat pour New Delhi de condamner la dictature de Min Aung Hlaing car si ce dernier décidait de tourner le dos à l’Inde, il se tournerait assurément davantage vers la Chine, toujours prête à investir dans les pays à ses frontières.


Concernant la Chine, ses intérêts au Myanmar sont certains et l’arrivée de la junte militaire au pouvoir n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle, bien au contraire. Pièce maîtresse de la stratégie du « Collier de Perles » de la Chine, il est important pour Beijing que le pays soit avant tout stable afin de pouvoir l’utiliser dans son projet de « China Myanmar Economic Corridor » qui apporterait un accès direct à l’océan Indien pour la Chine. Ce « Collier de Perles » a pour but de paver la voie des nouvelles routes de la soie et l’accès libre au Myanmar permettrait aux marchandises Chinoises de ne pas forcément passer par le Détroit de Malacca, en Malaisie, où le risque de piraterie est important. Enfin, la République Populaire de Chine étant elle-même un régime autoritaire, il est certain que Beijing ne va pas regretter la disparition d’une démocratie à ses frontières. D’ailleurs, les manifestants à Yangon accusent la Chine de vendre des armes aux forces de sécurité de Min Aung Hlaing mais également d’envoyer des experts du cyberespace pour couper les télécommunications et le réseau Internet au Myanmar.


Source : Civils Daily


Ensuite, vient également la question des organisations internationales. Pour l’ONU, le Secrétaire Général António Guterres a condamné fermement le coup d’État et a déploré les pertes de vie humaines. Il a également demandé le retour à un régime civil. Tom Andrews, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des Droits de l’Homme au Myanmar a dressé un tableau particulièrement sombre. Il dénonce notamment une « guerre contre le peuple du Myanmar ». Mais l’ONU ne peut pas porter de mesures réellement contraignantes, et le Conseil de Sécurité est paralysé par les vétos Russe et Chinois.


En revanche, l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) a un rôle de premier plan dans la suite des événements. En effet, le Myanmar fait partie de cette alliance et il est tout dans son intérêt, même pour le régime militaire de Min Aung Hlaing, de ne surtout pas en sortir. L’Observatoire Delphi a pu interroger M. Ei Sun OH, analyste au sein de l’Institut Singapourien des Affaires Internationales, afin d’obtenir des informations de la part d’un expert du sujet.



Quel genre de pression pensez-vous que l’ASEAN puisse mettre sur le nouveau régime du Myanmar ?


En raison de son principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres, l’ASEAN ne peut faire beaucoup plus que d’espérer pour le meilleur et encourager le dialogue entre les deux parties. Idéalement, une ASEAN avec plus de caractère pourrait au moins menacer de suspendre la participation du Myanmar à l’alliance ainsi qu’à tous les bénéfices liés à son marché de libre-commerce.


L’ASEAN semble divisée car certains pays soutiennent la démocratie au Myanmar alors que d’autres argumentent qu’il s’agit des affaires intérieures du pays et qu’il faut le laisser se débrouiller seul. Est-ce que cette division est une problématique majeure dans le processus de prise de décision de l’ASEAN ?


L’approche consensuelle dans la prise de décision dissuade souvent l’ASEAN d’adopter une attitude plus coercitive dans la gestion de nombreux problèmes régionaux. Il s’agit bien ici de ce type de problématique mais ce n’est pas une priorité comparé à –par exemple- la situation en Mer de Chine Méridionale. La Malaisie avait elle-même tiré la sonnette d’alarme bien avant le Myanmar.


Pensez-vous que l’ASEAN pourrait revoir à la baisse ses intentions et sa position envers le nouveau régime du Myanmar dans la crainte d’un nouveau conflit diplomatique avec la Chine ?


La position de l’ASEAN ne pourrait pas être plus faible qu’elle ne l’est actuellement de toute manière. Je pense que la Chine va continuer à collaborer avec le nouveau régime sans toutefois participer activement ni à son maintien, ni à sa destitution.



En ce qui concerne les pays occidentaux, ils ont été nombreux à réagir et à condamner le coup d’État. La France notamment, alors même qu’elle est dans une politique de rapprochement de l’ASEAN sur des questions commerciales et plus indirectement sur le droit des femmes dans les pays d’Asie du Sud-Est. Le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a appelé à la libération immédiate d’Aung San Suu Kyi ainsi qu’au respect des résultats de l’élection du 8 novembre 2020. Du côté du Royaume-Uni, Dominic Raab a appelé la communauté internationale à mettre un maximum de pression pour forcer la fin de la répression sur le peuple du Myanmar ainsi que la libération des personnes détenues arbitrairement et la réhabilitation du gouvernement élu démocratiquement.

Source : WeForum


L’Union Européenne, elle, s’est exprimée à travers Charles Michel, le président du Conseil Européen, pour exiger la libération immédiate des personnes détenues et le respect des Droits de l’Homme, des libertés fondamentales, de la liberté d’expression et de l’état de droit. Il demande également un retour à un régime civil et la fin de l’état d’urgence. De nombreux pays se sont joints à cette déclaration, dont la Turquie, la Norvège, la Serbie et l’Ukraine, pour ne citer qu’eux.


Les États-Unis sont les premiers à user de mesures contraignantes à l’égard des leaders du nouveau régime militaire du Myanmar. Le président Joe Biden a en effet envoyé des sanctions sur dix responsables du coup d’État, leur interdisant la venue aux Etats-Unis et gelant certains de leurs avoirs. Des contrôles poussés aux exportations sont également prévus, il s’agit là des premières sanctions décidées par le président Biden depuis son arrivée au pouvoir à la tête des États-Unis en janvier 2021.


Un statu quo international qui permet une instabilité nationale


Le nouveau régime militaire du Myanmar, dirigé par Min Aung Hlaing, use de la stratégie de la terreur pour organiser sa répression sur les manifestants pacifiques demandant un retour de la démocratie. Cette stratégie vise à dissuader les citoyens de manifester et s’applique par l’assassinat de dizaines de manifestants en pleine rue. Dans le but de rechercher une stabilité politique pour asseoir sa souveraineté, le nouveau régime dictatorial risque au contraire de faire sombrer le pays dans une guerre civile.


De plus, il devra également gérer un contexte géopolitique contrasté d’abord du fait de sa proximité avec les géants Indien et Chinois qui vont chacun tenter de tirer le meilleur de cette situation. Si la Chine penche naturellement en faveur de la junte militaire au pouvoir, il n’en est pas de même pour l’Inde qui conserve pour le moment une position que l’on pourrait qualifier de « wait and see » : le Myanmar étant stratégique pour que New Delhi ne se précipite dans des décisions hâtives qui pourraient se révéler lourdes de conséquences.


Enfin, les organisations internationales comme l’ONU et l’ASEAN ne peuvent qu’observer le déroulé des événements. Si la première condamne fermement via son Secrétaire Général António Guterres, la seconde est plus mitigée et il y a peu de chances que l’ASEAN ne prenne de réelles mesures contraignantes à l’égard du nouveau régime militaire au Myanmar. Pour ce qui est d’éventuelles sanctions, elles viendront probablement des pays occidentaux comme la France, le Royaume-Uni, peut-être l’Union Européenne. Les États-Unis ont déjà ciblé de nombreux responsables du coup d’État et tout porte à croire qu’ils s’investiront davantage sur ce sujet car cela leur permettrait également de gêner la Chine dans sa mise en place de sa stratégie dite du « Collier de Perles ».


Si la démocratie n’est plus au Myanmar, il semble que le peuple ne pourra compter que sur lui-même pour défaire la junte militaire au pouvoir mais au vu de la répression organisée par les forces de sécurité du commandant en chef Min Aung Hlaing, de nombreux morts sont à prévoir au fil des prochaines manifestations.


 

¹ Myanmar coup: what is happening and why? Alice Cuddy, BBC News

² Myanmar. Des éléments font apparaître une stratégie consistant à « tirer pour tuer » afin d’étouffer l’opposition. Amnesty International, 4 mars 2021

³ Coup d’État en Birmanie, quelles conséquences pour l’Inde ? Lepetitjournal.com, 09 février 2021

La Chine, plus grand fournisseur d’armes à la Birmanie. Courrier International – Radio Free Asia, 19 février 2021.

Myanmar : Guterres condamne les violences meurtrières contre les manifestants. ONU Info, 21 février 2021.

Myanmar/Birmanie : Déclaration du haut représentant au nom de l’Union Européenne. Conseil Européen, 2 février 2021.

US sanctions on Myanmar: 5 things to know. Nikkei Asia, 12 février 2021.

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