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Les (d)équilibres nucléaires en Asie-Pacifique : quelle réalité ?

  • Photo du rédacteur: Celeste Fraiese
    Celeste Fraiese
  • 22 juin 2021
  • 7 min de lecture

Les enjeux nucléaires en Asie : un exemple de prolifération croissante


Depuis la fin du rideau de fer, plus précisément la période de la Guerre froide, le paysage stratégique et politique occidental met en lumière l’importance du désarmement nucléaire et la lutte contre la prolifération.



En revanche, l’Asie, elle, semble suivre un chemin différent voire inverse : la nucléarisation du continent asiatique représente un danger pour l’équilibre du monde entier. Le développement accéléré et le décollage du taux de croissance économique favorisent la montée en puissance de ce continent.


Par exemple, les deux géants asiatiques, la Chine et l’Inde, s’engagent de plus en plus dans les domaines technologique et informatique. Ensuite, les deux pays renforcent aussi leurs efforts pour la mise au point des arsenaux nucléaires.


Tout en poursuivant l’analyse de l’Asie, la Corée du Sud et le Japon n’ont pas l’arme nucléaire mais les deux pays bénéficient d’une croissance économique non négligeable et d’un partenariat pour la défense en matière du nucléaire avec les États-Unis, notamment la dissuasion élargie de Washington.


Mais le point épineux qui domine l’Asie reste toujours la prolifération du nucléaire. Si d’un côté il y a l’Inde qui est considérée comme un acteur nucléaire « responsable » par les USA et la Chine, pays signataires du TNP [ Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Il a été signé en 1968 et il est entré en vigueur à partir de l’année 1970. Aujourd’hui il est le traité qui ressemble le plus grand nombre de pays signataires et il a une durée indéterminée. ] , de l’autre il y a le Pakistan et son régime politique très fragile et la Corée du Nord qui représentent une menace de plus en plus crédible.


La région concentre une grande hétérogénéité des situations face au développement d’armes nucléaires : pays proliférateurs, pays non signataires du TNP, pays « responsables ». Face à cet environnement géopolitique très compliqué, en quoi la situation critique en Asie-Pacifique démontre-t-elle les lacunes du TNP ? Ensuite, est-il juste de considérer le TNP comme un traité « inefficace » ? Dans quelle mesure les politiques nucléaires non-occidentales peuvent-elles mettre en danger la sécurité internationale ?


Nous focaliserons d’abord notre attention sur les relations antagonistes entre l’Inde et le Pakistan, les deux frères ennemis. Puis, nous étudierons le rôle perturbateur de la Chine et sa montée en puissance qui influence tout le continent asiatique. Enfin, nous illustrerons les points cruciaux du TNP à travers l’état des lieux de la prolifération massive en Asie.


Une dangereuse course aux armements nucléaires : un bras de fer perpétuel entre l’Inde et le Pakistan


Depuis longtemps, l’Inde et le Pakistan sont en relation conflictuelle principalement à cause de la partition de 1947. Au fil du temps, les deux États se sont dotés d’armes considérables de plus en plus puissantes : entre 1974 (première « explosion pacifique » de l’arme nucléaire indienne surnommée « Smiling Bouddha ») et 1998 (premiers essais nucléaires du Pakistan), les deux États asiatiques en question ont développé l’arme nucléaire.


Encore aujourd’hui, ils sont des pays non-adhérents au TNP et ils contribuent au développement d’un climat de forte tension régionale notamment pour la question du Cachemire. Mais pour mieux comprendre la dialectique de chaque pays, il est bien d’analyser leurs doctrines et stratégies.


Tout d’abord, l’Inde, puissance « responsable » malgré son absence dans le TNP, a toujours considéré la possession de l’arme nucléaire comme un moyen de protection vis-à-vis des dangers et des menaces qui l’entourent notamment le Géant chinois et le Pakistan.


En effet, New Delhi, tout en prônant le fait qu’elle ne bénéficie d’aucun parapluie nucléaire, considère sa capacité nucléaire nécessaire face à ses rivaux mais aussi une quête de grandeur pour briller à l’international. La doctrine indienne repose principalement sur deux principes : le « non-emploi en premier » et la dissuasion minimale.


Il est très important de souligner le rôle du pouvoir civil dans le pays qui est primordial : en effet, c’est une équipe d’experts issus du monde civils qui étudie la doctrine indienne. Voilà le premier contraste frappant avec le Pakistan : ce dernier est caractérisé par un régime politique très instable à cause notamment de la présence des acteurs non étatiques qui pourrait prendre le contrôle de l’arme nucléaire du jour au lendemain. C’est le régime militaire qui occupe le cœur du pouvoir au Pakistan, en revanche le pouvoir civil est très marginalisé.


Ensuite, en ce qui concerne la doctrine nucléaire pakistanaise, Islamabad prône une dissuasion très active grâce à sa possession de l’arme nucléaire (même si le pays ne possède aucune profondeur stratégique), à sa posture régionale mais aussi à sa compétition avec l’Inde. Plus précisément, le Pakistan s’inscrit dans une logique du faible au fort et n’a jamais renoncé à la possibilité d’utiliser en premier l’arme nucléaire en riposte à une attaque conventionnelle du côté indien.


Donc la doctrine nucléaire du Pakistan désigne l’Inde comme unique cible d’attaque nucléaire. Pour faire contrepoids à New Delhi et gagner en puissance, le Pakistan s’appuie aussi sur des armes nucléaires tactiques, très dangereuses, destinées à être utilisées sur le champ de bataille contre les armes conventionnelles de la force indienne.


Mais si d'une part les deux pays ont de nombreux points qui les opposent, d'autre part il y a aussi la présence d'un point commun : l’Inde et le Pakistan n’ont pas signé le TNP. Cette « exception nucléaire » représente une menace pour le régime international de non-prolifération.


Donc la course aux armements nucléaires lancée par l’Inde et le Pakistan met en danger premièrement le sous-continent indien et ensuite les autres pays. Le renforcement et la modernisation des arsenaux et la volonté de perfectionner une triade nucléaire montrent la croissance d’un danger.


Même si jusqu'à présent aucun des deux pays n'a appuyé sur le bouton pour faire fonctionner l'arme nucléaire, rien n'empêche la disparition de cette balance de force. La longue durée de cet équilibre est très incertaine.


La rivalité entre New Delhi et Pékin : un dilemme stratégique


Une chaîne de rivalité influence l’Asie notamment à cause du triangle Chine-Inde-Pakistan. La détention de l’arme nucléaire pour le Pakistan est nécessaire pour faire face à l’Inde. Par contre, celle de l’Inde est tournée vers la Chine notamment à cause de l’humiliante défaite indienne en 1962.




En effet, l’Inde a investi toutes ses forces sur des innovations pour faire contrepoids premièrement à la Chine et à sa croissance. Donc, détenteur d’une capacité nucléaire militaire depuis 1964, Pékin représente la plus grande menace pour New Delhi. Malgré ses efforts, l’Inde n’est toujours pas dotée d’une capacité de dissuasion à l’égard de la Chine.


Mais le dilemme stratégique entre ces deux pays s’articule autour des doctrines nucléaires : les deux puissances asiatiques ont adopté une doctrine qui prévoit le non-usage en premier. Par conséquent, en théorie, tout échange nucléaire, plus précisément, un conflit nucléaire dans la région, serait impossible.


Cependant, en pratique, la situation entre ces deux pays reste très délicate pour différentes raisons : la modernisation croissante des arsenaux indiens et chinois, la militarisation de l’Océan indien mais aussi le renforcement des capacités conventionnelles.


Le manque de transparence de la Chine ne permet pas d'analyser pleinement sa capacité nucléaire mais sa volonté de gagner du terrain en Asie est certainement un facteur évident. Aujourd’hui, la compétitivité entre l’Inde et la Chine s’étend à trois domaines : terrestre, maritime et continental.


Alors comment définir la stratégie indienne ? Il est vrai que le pays se retrouve pris dans une chaîne de rivalité et il est complexe de calibrer ses actions. Par conséquent, sa logique doit agir sur un double front stratégique : sa doctrine conventionnelle et nucléaire s’adapte à son adversaire (notamment la Chine et le Pakistan). Il est donc possible qu’au fil du temps l’Inde puisse rejeter une doctrine universelle et opter pour un découplage de ses stratégies.


Dans l’attente, le Pakistan ne gaspille pas de temps et muscle son arsenal nucléaire et balistique car chaque amélioration du programme indien est interprétée comme un signal d’alarme par Islamabad.


La situation actuelle du TNP : entre efficacité et limite


Dès le début de l’âge nucléaire, les États se sont interrogés sur le meilleur moyen de contrôler les armes nucléaires afin d’empêcher l’éclatement d’un nouveau conflit nucléaire et la libre propagation du savoir sur l’arme atomique. Dans ce contexte s’inscrit l’importance du TNP (1968) qui reste une pièce maîtresse de la non-prolifération malgré ses points noirs.


Même si le TNP comporte plusieurs points cruciaux, il ne peut pas être considéré comme un traité totalement inefficace pour plusieurs raisons : tout d’abord, aucune guerre nucléaire n’a éclaté après les deux bombes lancées sur le Japon et les zones dénucléarisées se sont multipliées. Ensuite, plusieurs programmes nucléaires ont été démantelés (volontairement ou de force) comme en Libye, en Afrique du Sud ou encore au Brésil.


En outre, la prorogation de 1995 pour une durée indéterminée induit à penser à un caractère plus que positif de l’existence et de la mise en place de ce traité qui regroupe le plus grand nombre de pays signataires.


Il est important d'analyser en détail aussi les points critiques du TNP à l’échelle de l’Asie :

  • L’ascension atomique de l’Inde et du Pakistan s’est développée sans que le TNP soit en mesure d’y mettre fin. Plus précisément, le développement du nucléaire indo-pakistanais signifie en fait l’échec du TNP en tant que système de sécurité international.

  • La prolifération nucléaire croissante du Pakistan (pays non-signataire du TNP) représente un autre grand échec du TNP voire du système entier de non-prolifération.

  • Les ambiguïtés chinoises et leur manque de transparence représentent un autre défi.


La Corée du Nord, quant à elle, constitue un cas également grave à cause de son retrait du TNP en 2003. Elle représente une grande source d’instabilité nucléaire dans la région.


La géopolitique asiatique : entre complexité et rivalité


Pour conclure, le TNP n’est pas parfait car il est le reflet des relations internationales actuelles qui sont très bouleversées et compliquées. Les pays doivent collaborer étroitement pour mettre en place une mise en jour de ce traité afin de trouver des solutions concrètes pour la région asiatique qui est caractérisée par beaucoup d’éléments perturbateurs très instables.


Dans ce contexte, l’aide américaine au contrôle de la zone asiatique joue un rôle décisif. En effet, les États-Unis et l’ONU (notamment les organisations internationales) ont les capacités d'apporter un rééquilibrage des rapports régionaux grâce aux poids de leur outil diplomatique.

Aujourd’hui l’Asie est clairement une région sous tension géopolitique : dans les années à venir le respect du droit international et une mise à jour du TNP peuvent contribuer à la sauvegarde de la sécurité internationale.




Bibliographie :


  • Pierre Bühler. « LA MONTÉE EN PUISSANCE DE L’ASIE ». Commentaire 2005/3 Numéro 111 : pages 667 à 678. < https://www.cairn.info/revue-commentaire-2005-3-page-667.htm >

  • Pierre Vandier. « La prolifération nucléaire en Asie menace-t-elle l'avenir du TNP ? » 1er octobre 2005, retrouvez l'article à cette adresse : http://www.diploweb.com/La-proliferation-nucleaire-en-Asie.html< https://www.diploweb.com/forum/vandier.htm>

  • Nicolas Blarel. « LA STRATÉGIE NUCLÉAIRE INDIENNE, UN DILEMME INSOLUBLE ? ». Hérodote 2019/2 N° 173 : pages 103 à 120. < https://www.cairn.info/revue-herodote-2019-2-page-103.htm >

  • Rajesh Rajagopalan (Traduction Mélanie Sadozaï). « LE DÉFI NUCLÉAIRE INDIEN : CONTRER LA STRATÉGIE D’ESCALADE PAKISTANAISE ». Revue Défense Nationale 2018/7 N° 812 : pages 53 à 57. <https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-7-page-53.htm>.

  • Vaiju Naravane. « L’équilibre de la terreur entre l’Inde et le Pakistan ». Le Monde diplomatique avril 2005. < https://www.monde-diplomatique.fr/2005/04/NARAVANE/12077>.







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