Le Groenland, carrefour géostratégique
- Louis Duclos
- 31 mars 2021
- 6 min de lecture
Dans un contexte de réchauffement climatique mettant tous les voyants au rouge, de nombreuses inquiétudes bouleversent le monde sur le sujet de la fonte des glaces de l’Arctique et ses conséquences. Hausse du niveau des mers, extinction d’espèces… L’effet papillon risque d’être dévastateur sur bien des niveaux. Cela dit, les États scrutent attentivement l’Arctique également en raison des multiples bénéfices à tirer de la fonte des glaces qui rendraient certains territoires jusqu’ici vastement inexploités, pour certains inexplorés même, particulièrement attractifs.
C’est le cas du Groenland, province autonome du Royaume du Danemark depuis 1978. Cette immense île, la deuxième plus grande du monde, est recouverte d’un épais inlandsis recouvrant près de 85% de son territoire. Mais au fur et à mesure que les glaces fondent, les prospections se multiplient et se révèlent très prometteuses. C’est ainsi que dans un contexte d’intérêt mondial grandissant de la zone Arctique, nous focaliserons notre attention sur l’importance véritable du Groenland sur la scène géopolitique.

Plateforme pétrolière off-shore au Groenland (Source : La Libre.be)
Pour ce faire, nous analyserons dans un premier temps dans quelle mesure le Groenland représente de plus en plus un eldorado économique inexploité qui intéresse les multinationales du monde entier. Dans un second temps, nous étudierons l’enjeu géostratégique des nouvelles voies maritimes dans lequel le Groenland pourrait prendre une toute nouvelle dimension.
Un eldorado inexploité qui fait rêver les multinationales du monde entier
Le Groenland est un territoire gigantesque dont le climat hostile et l’inlandsis quasi-total d’une épaisseur moyenne de deux kilomètres préservent un certain mystère sur la richesse du territoire. Au fur et à mesure que les glaces fondent, de plus en plus de prospections sont lancées et les résultats sont extrêmement prometteurs. En effet, selon les plus récentes prospections, le Groenland détiendrait près de 23% des réserves de pétrole mondiales. Ces immenses réserves ont immédiatement attiré l’attention du monde entier mais leur exploitation a découragé de nombreuses multinationales car les réserves sont principalement off-shore (« en mer ») ce qui ne facilite pas leur extraction. Avec le réchauffement climatique, de gigantesques icebergs se détachent de la banquise Arctique et représentent dès lors un risque pour les plateformes pétrolières. Également, les pétroliers convoyeurs de pétrole brut rencontrent des difficultés à se déplacer dans le respect des normes de sécurité en zone polaire, ce qui rajoute à la difficulté d’exploitation et décourage les multinationales.
De plus, le Groenland détient également de colossales réserves de gaz naturel. Il s’agirait de près de 30% des réserves mondiales dont l’exploitation, bien que là aussi difficile, permettrait un essor économique considérable pour l’île. L’économie Groenlandaise est basée à 90% sur ses exportations de ressources halieutiques et près d’un tiers de son PIB provient des aides du Danemark. L’État Groenlandais cherche avec l’exploitation de ces ressources une diversification des secteurs économiques et des revenus suffisants pour ne plus avoir besoin des aides Danoises et, in fine, pouvoir prendre son indépendance totale. Cependant, malgré un sous-sol riche en hydrocarbures et en terres rares, son exploitation pose la question des conséquences écologiques. Ainsi, si l’île possède près de 13% des réserves mondiales d’uranium, son extraction divise profondément les Groenlandais qui s’interrogent sur le coût environnemental d’une gigantesque mine d’uranium, sans compter que l’île a toujours opposé un refus historique de tout ce qui touche au nucléaire.

Ressources énergétiques et minérales au Groenland (Source : Claude Grandpey)
Cette richesse insoupçonnée se révèle petit à petit au monde entier, ce qui fait prendre énormément de valeur au territoire. A tel point que l’ancien président des États-Unis, Donald Trump, a été jusqu’à proposer publiquement au Danemark l’achat du Groenland. Si la proposition a été reçue avec humour dans le monde, elle a suscité de l’indignation auprès des Danois et des Groenlandais. Les États-Unis perçoivent le Groenland comme un territoire éminemment stratégique pour leurs intérêts dans leur rivalité avec la Russie et la Chine. Si la question des ressources demeure essentielle pour les États-Unis, il s’y ajoute également le développement de nouvelles voies maritimes dégagées par la fonte des glaces en Arctique, donnant ainsi au Groenland une importance géopolitique amplifiée.
L’enjeu géostratégique des nouvelles voies maritimes
Avec le réchauffement climatique s’ensuit la fonte des glaces en Arctique : la banquise rétrécit un peu plus chaque année en été et certaines voies maritimes qui étaient autrefois impraticables toute l’année sont aujourd’hui révélées. En effet, le passage au Nord de la Russie par exemple permet aux navires commerciaux de gagner beaucoup de temps par rapport à leurs voies habituelles passant par le Canal de Suez. Lors d’un voyage de Rotterdam à Tokyo, il faut compter 14’000 kilomètres en passant par le Nord de la Russie contre 21'200 kilomètres en passant par le Canal de Suez, sans compter le gain de temps en évitant les embouteillages du canal. La fonte des glaces permet donc plus de passage, ce qui donne lieu inexorablement à plus d’échanges.

Nouvelles routes maritimes à travers l'Arctique (Source : Observatoire de l’Arctique)
Dans ce contexte, le Groenland gagne d’une importance certaine car il se trouve être un carrefour géostratégique de choix pour les États-Unis et l’Europe. Pour le moment, ces nouvelles voies maritimes n’en sont qu’à leurs balbutiements car la navigation est toujours compliquée. De nombreux icebergs dérivent et menacent les navires, l’utilisation de brise-glaces à propulsion nucléaire est bien souvent nécessaire pour « escorter » les navires commerciaux sur leur chemin… Tout ceci fait que les coûts d’emprunts de ces voies deviennent rapidement plus élevés que les avantages prévus initialement. Si le Groenland n’a pas encore les moyens d’exploiter pleinement ces nouvelles voies maritimes, il est certain qu’elles pourraient lui permettre, à terme, de prendre une toute nouvelle dimension.
De plus, une augmentation des échanges commerciaux veut aussi dire augmentation de la militarisation de la zone. En effet, la Russie militarise de plus en plus ses territoires polaires et les États-Unis ont longtemps laissé cette zone au profit de la recherche scientifique. Le Groenland est là aussi un territoire géostratégique de choix pour les États-Unis. Il est important de noter que depuis la Seconde Guerre Mondiale, une base militaire américaine accueille plusieurs milliers de militaires à Thulé, en faisant la base aérienne la plus septentrionale de l’armée de l’air américaine (USAF). En cas de conflit entre la Russie et les États-Unis, le Groenland ne serait pas épargné et risquerait d’être au centre même des convoitises.
Malgré l’accident nucléaire de Thulé dans lequel un B-52 de l’armée de l’air américaine s’est écrasé sur la banquise Groenlandaise avec à son bord quatre bombes nucléaires, entraînant une irradiation massive des environs, la base de Thulé n’est pas prête de fermer. L’intérêt grandissant des États-Unis pour le Groenland, couplé à leurs rivalités avec la Russie et la Chine dans la zone Arctique, laissent à penser que le territoire pourrait abriter, à terme, davantage de bases militaires américaines ou de l’OTAN.
Le Groenland, un eldorado hostile à l’avenir incertain
En conclusion, le Groenland fait figure d’eldorado hostile du fait de ses immenses richesses rendues difficilement exploitables par la rudesse du climat polaire. D’un côté les eaux profondes aux icebergs menaçants et de l’autre un inlandsis épais dont l’épaisseur moyenne est de plus de deux kilomètres. Ainsi, malgré les prospections très prometteuses qui ont révélé des réserves colossales d’hydrocarbures, leur exploitation est extrêmement coûteuse et bien que les multinationales du monde entier s’y intéressent et que le gouvernement Groenlandais délivre facilement des permis d’exploitation, la situation n’évolue que très peu. Cette richesse donne une importance stratégique et géopolitique particulière au Groenland.

D’autre part, le Groenland fait face à un avenir incertain. Entre l’exploitation difficile de ses ressources empêchant une indépendance totale vis-à-vis du Danemark, et un contexte de militarisation grandissante de la zone Arctique par les principales puissances mondiales que sont les États-Unis, la Chine et la Russie, il est difficile pour ce territoire de trouver une place qui lui est propre au milieu de ces grands enjeux géopolitiques. Avec une population de moins de 60'000 personnes, il risque d’être compliqué pour le Groenland de faire entendre sa voix face à ces grandes puissances.
Ce qui est certain, c’est que les décennies à venir vont être déterminantes tant pour les Groenlandais que pour les autres États s’intéressant à l’Arctique, et ipso facto au Groenland, comme carrefour géostratégique.
Au Groenland, une mine d’uranium crée une crise politique, France Info, 18 février 2021.
Greenland and the Arctic “Great Game”, Geopolitical Monitor, 10 octobre 2019.
Greenland geopolitics: Globalisation and Geopolitics in the New North, Mikkel Vedby Rasmussen, Centre for Military Studies, Université de Copenhague, Décembre 2013.
La géopolitique de l’Arctique face au réchauffement climatique, Cyril MARE, Centre Thucydide, Mai 2008.
Le Groenland dans la politique Arctique du Danemark, Les Cafés Géographiques, 12 mars 2020. Benoît RAOULX.
Le Groenland, nouvel Eldorado des compagnies pétrolières ? 20minutes.fr, 18 février 2011.
Le Groenland, un carrefour géostratégique pour les États-Unis, France 24, 19 août 2019.
Les routes maritimes Arctiques : un enjeu de commerce international et de liberté de navigation, Observatoire de l’Arctique.
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