Biélorussie, dernière dictature d'Europe
- Louis Duclos
- 2 juil. 2021
- 8 min de lecture

Le président Lukashenko et son fils Nikolai (Source : USA Today)
Si l’Europe est le continent de la démocratie, certains États ont malgré tout des tendances autoritaires mais un, un seul, est ouvertement dictatorial : la Biélorussie. Partagée entre l’influence de l’Union Européenne et son marché intérieur d’un côté, et l’ombre de la Russie de l’autre, la Biélorussie oscille entre les deux en tâchant tant bien que mal de garder la main sur sa souveraineté. L’homme fort de la République de Biélorussie est son président, Alexandre Loukachenko, qui dirige le pays d’une main de fer depuis 1994.
Dans ce contexte totalitaire, les dernières élections présidentielles de 2020 ont vu Loukachenko être réélu pour un sixième mandat avec 80.08% des suffrages face à la candidate de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa. Figure emblématique de la démocratie en Biélorussie alors même qu’elle remplaçait son mari, Sergueï Tikhanovski, emprisonné par le régime, elle a depuis dû s’exiler en Lituanie pour ne pas être à son tour arrêtée. Après de nombreuses manifestations pro-démocratie en Biélorussie, des milliers d’opposants au régime ont été arrêtés et réduits au silence. Le dernier en date est le journaliste Roman Protassevitch qui fut interpellé alors même qu’il se trouvait dans un avion de ligne reliant Vilnius à Athènes. Sur une fausse alerte à la bombe, selon Amnesty International, Loukachenko a ordonné l’envoi d’avions de chasse MiG-29 armés de missiles air-air pour forcer l’avion à atterrir à Minsk, la capitale.
Face au tollé que cette action, perçue comme une piraterie de l’air ou piraterie d'État, a suscité au sein de la communauté internationale, nous pouvons nous demander dans quelle mesure l’arrestation spectaculaire de Roman Protassevitch s’inscrit-elle dans un processus de défiance de la Biélorussie envers l’Union Européenne. Mais aussi en quoi cela souligne-t-il l’incapacité de l’Union Européenne à s’imposer face à la dernière dictature d’Europe ? Pour répondre à cette problématique, nous étudierons d’abord la relation entre l’UE et la Biélorussie en tant que défiance qui persiste et s’accentue. Puis, nous analyserons comment l’Union Européenne est impuissante face à la Biélorussie de Loukachenko.
La Biélorussie et l’Union Européenne : une défiance qui persiste et s’accentue
La relation entre la Biélorussie du président Loukachenko et l’Union Européenne a toujours été conflictuelle. Aujourd’hui, les tensions ne cessent de grandir après le sixième mandat du président et les 26 années qu’il a passé au pouvoir. Le peuple Biélorusse s’est soulevé et a protesté pour une transition démocratique mais la répression a été terrible avec des dizaines de milliers d’arrestations arbitraires et plusieurs morts. D’ailleurs, les morts de plusieurs manifestants durant l’insurrection dans des circonstances douteuses incriminent directement la police et bien que des enquêtes aient été ouvertes par le gouvernement, leur fonctionnement est si opaque qu’elles n’avancent pas.
Face à cette situation, l’Union Européenne a immédiatement refusé de reconnaître les résultats de l’élection présidentielle et a apporté son soutien à l’opposition démocratique personnifiée par Svetlana Tikhanovskaïa. Cette défiance entre l’UE d’une part et la Biélorussie de Loukachenko d’autre part s’est agrandie lorsque la réunion du Conseil européen d’octobre 2020 a vu les dirigeants européens voter à l’unanimité pour l’application de sanctions à l’encontre d’une quarantaine de responsables de la répression biélorusse. Le détournement du vol Ryanair 4978 a été la goutte de trop, unanimement condamné par les membres de l’UE. Dans la foulée, de nouvelles sanctions ont été votées pour atteindre un total de 166 personnes et 15 entités participant à la répression de Loukachenko et aux graves violations des Droits de l’Homme en Biélorussie.

Carte indiquant les vols évitant le survol de l'espace aérien Biélorusse. (Source : RadioFreeEurope)
Le Conseil européen a également demandé aux transporteurs établis au sein de l’Union Européenne d’éviter le survol du pays. Cela permet une baisse des revenus pour la Biélorussie qui ne bénéficiera plus des taxes relatives au survol du territoire de la part des compagnies aériennes. Également, des mesures ont été prises pour interdire le survol du sol européen aux compagnies biélorusses et empêcher l’accès aux aéroports de l’UE pour les vols opérés par ces compagnies.
Dans ce contexte de tensions grandissantes, la défiance entre la Biélorussie et l’Union Européenne ne cesse de s’accroître. Roman Protassevitch et sa compagne Sofia Sapega ne sont toujours pas libérés malgré les pressions exercées par l’UE. Le président Loukachenko continue son œuvre sans se soucier des mesures prises par l’Union Européenne et il est peu probable de voir la situation s’améliorer dans les mois, voire les années à venir.
L’Union Européenne impuissante face à la dernière dictature d’Europe
Après plusieurs mois sous la pression des sanctions, il semblerait qu’Alexandre Loukachenko s’en accommode parfaitement et que bien qu’elles handicapent en partie les responsables de sa politique totalitaire, force est de constater que face à un régime fort, l’Union Européenne a la plus grande difficulté à se montrer de taille.
En effet, le talon d’Achille de l’UE se trouve dans son incapacité à montrer les muscles. A part des pressions économiques et diplomatiques, l’absence d’une armée européenne rend toutes les menaces presque inutiles, bien que l’idée d’une guerre soit absurde. Avec le zèle du président Loukachenko, l’Union Européenne se retrouve face à ses responsabilités autant que face à ses faiblesses et le monde prend une nouvelle fois connaissance des limites de l’Europe. Les sanctions sur les responsables de la répression biélorusse sont un début, mais les intérêts économiques du pays, à part en ce qui concerne les compagnies aériennes, sont peu atteints.

Charles Michel, président du Conseil européen. (Source : RFI)
De plus, il est important de noter que Loukachenko dispose d’un allié de poids : la Russie. La Biélorussie et la Russie entretiennent une relation très particulière, entre amitié profonde et méfiance. Pendant longtemps, certains experts craignaient que si l’UE mettait trop de pression à la Biélorussie, cela la précipiterait dans les bras des Russes alors que la bonne stratégie à adopter serait de faire basculer le pays du côté des Européens, comme ce fut le cas pour l’Ukraine. Le Kremlin n’apprécie guère les frasques du président Loukachenko et le défendre devient de plus en plus compliqué.
Bien que la Russie ait déjà interdit à plusieurs avions l’atterrissage à Moscou pour les compagnies Air France et Air Austria en soutien au boycott européen des compagnies biélorusses, Vladimir Poutine ne devrait pas aller plus loin dans son soutien à Loukachenko. Les deux individus entretiennent, malgré une amitié de façade, une vraie rivalité alors que la Russie essaie d’exploiter au maximum les mauvaises relations de la Biélorussie avec l’UE pour forcer et accélérer le processus d’intégration du pays au sein de la Russie. Loukachenko, lui, repousse toujours plus l’échéance car il rechigne à l’idée de voir l’industrie biélorusse rejoindre le giron russe.

L'Observatoire a contacté le diplomate biélorusse M. Valery Kavaleuski afin d'avoir ses réponses sur des questions permettant de mieux comprendre la situation en Biélorussie.
M. Kavaleuski est le Représentant aux Affaires Étrangères et Chef du Cabinet de Mme Svetlana Tikhanovskaïa, leader de l’opposition pro-démocratie en Biélorussie, aujourd’hui exilée à Vilnius, en Lituanie.
1 - Selon vous, quelles sont les chances de voir Roman Protassevitch et Sofia Sapega être libérés ?
Le régime utilise Roman et Sofia pour manipuler l’opinion publique en Biélorussie ainsi qu'auprès des politiciens et des experts occidentaux. Ils ont tous les deux été assignés à résidence, ce qui devrait générer des réactions positives, mais comme personne ne réagit à ces mesures pseudo positives, cela frustre le régime. Selon les pratiques précédentes, le régime pourrait accepter de les libérer s’il avait le sentiment de pouvoir obtenir quelque chose de tangible en retour : contacts politiques, levée des sanctions etc...
Mais le commerce de prisonniers politiques a été utilisé par le passé et n’a servi qu’à renforcer la dictature. Juste pour illustrer : alors que Roman et Sofia ont été assignés à résidence, beaucoup de nouveaux prisonniers politiques sont apparus en Biélorussie.
2 - Quelle devrait être la réponse appropriée de l’Union Européenne envers la dictature Biélorusse selon vous ?
Le principe global devrait être l’uniformité, l’homogénéité, des politiques adoptées et non pas l’occasion pour la dictature de fissurer la position consolidée de l’Occident. Cela inclut les tentatives de manipulation par des astuces telles que les sanctions qui pousseront Loukachenko dans les bras de Moscou ou encore la libération de prisonniers politiques dans le but d’extorquer des concessions de la part des Occidentaux.
D’un point de vue pratique, les demi-mesures n’arriveront qu’à geler et prolonger la crise. Les failles créées par la quatrième salve de sanctions de l’Union Européenne devraient se refermer. En même temps que la pression est appliquée sur la dictature, il est également important d’entreprendre des avancées positives pour les Biélorusses.
Le plan de soutien économique compréhensif de l’UE envers une Biélorussie démocratique est un exemple frappant. Il est également important de prouver à la Russie qu’elle ne peut pas abuser de la faiblesse de Loukachenko pour renforcer son contrôle sur la Biélorussie car tout accord signé avec un Loukachenko illégitime devrait être révisé par la suite.
3 - Quelle est votre opinion sur la relation entre Poutine et Loukachenko ? Est-ce la Russie le vrai ennemi ?
Loukachenko est un partenaire gênant, peu digne de confiance qui s’est joué de la Russie de Poutine à plusieurs reprises.
Ils ne sont pas amis mais ils ont développé une interdépendance. Loukachenko est très méfiant de la Russie, car il constate ses politiques dans les pays voisins.
4 - Comment voyez-vous l’évolution du régime de Loukachenko dans les années à venir, ainsi que le futur de la démocratie en Biélorussie ?
L’objectif des forces démocratiques Biélorusses est de créer les conditions favorables afin d'organiser des élections libres et justes qui résoudraient la crise en élisant un dirigeant légitime qui pourrait lancer une série de réformes.
De telles élections et réformes forceraient le régime de Loukachenko à n’exister plus que dans l’histoire du pays.

Vers une pression économique plutôt que politique ?
Le dossier Biélorusse met en exergue les forces et faiblesses de l’Union Européenne. Si elle a su condamner à l’unanimité la répression politique du régime totalitaire de Loukachenko et a sanctionné les responsables, elle éprouve néanmoins les plus grandes difficultés à forcer celui qui est vu comme le dernier dictateur d’Europe à céder. Véritable bras de fer géopolitique dans lequel il apparaît chaque jour comme évident que l’UE n’a pas la force nécessaire pour le remporter.
C’est dans ce contexte de tensions grandissantes que la relation entre la Biélorussie et l’Union Européenne se dégrade toujours plus et que l’UE est impuissante face à Loukachenko. L’arrestation spectaculaire du journaliste et opposant au régime Roman Protassevitch et ses conséquences illustre bien cette réalité.
Ce dernier montrant qu’il n’est pas près de plier malgré les sanctions déjà imposées, le Conseil européen a donc décidé de s’en prendre directement aux intérêts économiques de la Biélorussie. Le pays tirant d’importants revenus dans l’exportation de potasse (un minerai salin à base de chlorure de potassium), des restrictions sont désormais effectives sur son commerce. Également, le transit du gaz russe permet à la Biélorussie des bénéfices non négligeables qui pourraient disparaître si l’UE venait à privilégier l’utilisation de gazoducs en dehors du pays, comme le veut Heiko Maas, le ministre fédéral allemand des affaires étrangères.
Le président Loukachenko ne comptant pas quitter le pouvoir de sitôt, quitte à enfermer ou exiler tous ses opposants, l’Union Européenne devra faire preuve de davantage de courage et de pugnacité si elle veut espérer faire plier le dernier dictateur d’Europe.

Aleksandr Loukachenko et Vladimir Poutine. (Source : France Inter)
Bibliographie
« Alexander Lukashenko, international terrorist – POLITICO ».
« Après l’entrée en vigueur des sanctions économiques de l’UE, la Biélorussie rappelle son représentant à Bruxelles ».
« Avion détourné par la Biélorussie, sanctions de l’Union européenne : nos réponses à vos questions ».
Franceinfo. « Biélorussie : “Il faut taper sur le régime oligarchique de Poutine”, estime une spécialiste », 26 mai 2021.
« Biélorussie : Loukachenko campe sur ses positions et affirme avoir agi “légalement” en déroutant l’avion ».
« Biélorussie : une manifestation hostile à Loukachenko violemment réprimée à Minsk ».
Boucart, Théo, et Théo Boucart. « La Biélorussie et l’UE : une relation plus que tumultueuse ». Le Taurillon, 30 juin 2021.
La France en Russie. « Déclaration conjointe des ministres des Affaires étrangères du Triangle de Weimar (France, Allemagne et Pologne) ».
Franceinfo. « ENTRETIEN. Biélorussie : “Le pire des cauchemars d’Alexandre Loukachenko, c’est un tête-à-tête exclusif avec la Russie” », 27 mai 2021.
« EU bans Belarus airlines as opposition urges G7 sanctions | Reuters ».
euronews. Lukashenko : L’histoire du « dernier dictateur d’Europe ».
Kanevsky, Natalia. « Bélarus : le « dernier tyran d’Europe » tranche en faveur de la Russie ». Desk Russie, 12 mai 2021.
Le Point. « Bélarus: Loukachenko refuse l’invitation de l’UE à un sommet ». Le Point, 21 novembre 2017.
Reuters. « U.S. slaps sanctions on Belarus over human rights abuses, erosion of democracy », 21 juin 2021.
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